Match des étoiles 2015 : l’occasion de se dépasser
Par Daphné Bathalon
Attendu avec impatience par les joueurs et le public de la Ligue nationale d’improvisation, le Week-end des étoiles a eu lieu les 29 et 30 mars derniers. Encore cette année, deux rencontres ont permis aux joueurs de montrer l’étendue de leurs talents. Le dimanche après-midi, la Confrontation des étoiles proposait des épreuves individuelles pour déterminer les champions bruiteur, rimeur, transformiste, des émotions, des accents, chanteur, etc. Le lundi soir, le public était convié à un match toutes étoiles : l’occasion pour les joueurs choisis par les abonnés de saison de se dépasser!
On retrouve souvent sur la patinoire les mêmes joueurs d’une année à l’autre, mais il y a toujours d’heureuses surprises et quelques nouvelles têtes. Cette année, le jeune joueur Pier-Luc Funk (première saison régulière au sein de la ligue) en était à son tout premier match des étoiles. Le déjà favori du public, que SNL Québec a certainement aidé à doter d’une bonne dose de confiance en soi quand il s’agit de jouer sans filet, s’est lui-même avoué impressionné de se retrouver sur la patinoire pour ce match, lui qui en rêvait encore il y a quelques années à peine. En entrevue d’inter-période, Funk a d’ailleurs livré un témoignage inspirant pour les jeunes improvisateurs présents dans la salle. Il a répété les paroles tenus à ses coéquipiers avant la partie : «Donnons tout ce qu’on a pour ce match, pour les gens qui rêvent d’être à notre place.»
D’entrée de jeu, l’analyste Christian Vanasse et le maître de cérémonie Nicolas Pinson nous ont annoncé la mise à l’essai de quelques nouvelles règles pendant ce 25e match des étoiles:
Le banc des pénalités : le joueur frappé d’une pénalité personnelle doit aller s’asseoir sur le tabouret de l’infamie… pardon le banc des pénalités 5 minutes pour une première offense, 10 pour une deuxième et 15 pour une troisième).
Le recomptage : un entraîneur estimant son équipe lésée par le décompte des juges de ligne ou par une décision unilatérale de l’arbitre peut demander un recomptage.
La feinte de Gravel : les entraîneurs peuvent utiliser cette feinte une seule fois par match, elle leur permet d’obtenir deux points si leur équipe remporte l’impro, mais leur en fait perdre un en cas de défaite.
Un repêchage public mené par les deux entraîneurs, Benoît Chartier pour les Rouges et François-Étienne Paré (en remplacement de Christian Brisson-Dargis) pour les Bleus, a permis de constituer deux équipes fortes avec, d’un côté les vétérans Sophie Caron et Réal Bossé et les deux joueurs d’expérience Salomé Corbo et LeLouis Courchesne, et de l’autre côté trois jeunes joueurs : Eve Landry, Pier-Luc Funk et Marie-Soleil Dion, rejoint par Laurent Paquin, qui a plusieurs années d’impro à la LNI derrière la cravate.
Première période à tâtons
Dès la première impro, les deux équipes ont sorti leur jeu de puissance, leur vitesse et leur maîtrise des mots. Pour la comparée de 4 minutes Réunion, les Bleus nous ont servi le portrait absurde, mais criant de réalisme d’une réunion où on tente vainement d’établir ce qu’est un quorum et qui le détient. Les Rouges ont pour leur part offert une réunion de famille troublée par l’arrivée d’une étrangère peut-être pas si étrangère… Une première impro remportée par les Bleus.
L’arbitre Simon Rousseau a rappelé sa présence dès la deuxième impro. Les joueurs ont en effet paru se chercher une direction à suivre pendant la mixte Le set carré de la place Tian’anmen. Sans donner de pénalité, l’arbitre a tout de même souligné aux deux équipes qu’un enjeu clair manquait à la proposition, remportée par les Rouges. Après ce premier avertissement, les joueurs ont paru se ressaisir, nous offrant une inventive impro dans le noir avec micro (nouvelle catégorie). L’an dernier, nous avions eu droit à une impro dans le noir avec lampe de poche, une catégorie sans doute plus intéressante pour les spectateurs qui, cette fois, se sont retrouvés dans une semi-pénombre qui limitait le jeu physique sans totalement l’empêcher. Réal Bossé (Rouges) et Laurent Paquin (Bleus) se sont tout de même bien amusés avec cette contrainte, multipliant les clins d’oeil, mais s’emmêlant aussi par moments avec leurs propres conventions, ce qui a valu à Bossé la toute première pénalité personnelle du match et le (dés)honneur d’inaugurer le banc des pénalités. Point Bleus.
Toujours en quête d’une impro éclatante, la première période s’est conclue sur la mixte Ce que m’a dit le micro-ondes, à la manière de Stéphane Lafleur. Les joueurs ont eu beaucoup de plaisir à explorer cet univers… même si leurs explorations ont laissé l’arbitre perplexe (ainsi qu’une partie du jeune public, sans doute peu familier avec le travail du réalisateur québécois). Entre le mari décédé qui parle à travers le micro-ondes et le brillant clin d’oeil à Tu dors Nicole offert par Marie-Soleil Dion avec l’apport de LeLouis Courchesne à la voix, on a eu droit à une très belle montée dramatique de la joueuse Eve Landry, quadruple médaillées de la Confrontation des étoiles de la veille. Point Bleus.
Un banc des pénalités victime de son succès?
Apparemment déterminé à ne rien pardonner aux vedettes de la ligue en ce match des étoiles, l’arbitre n’a pas laissé longtemps le banc refroidir, y envoyant d’un seul coup de gazou la Bleue Marie-Soleil Dion et la moitié de l’équipe des Rouges : Salomé Corbo et LeLouis Courchesne. À un seul tabouret pour trois joueurs punis, la place affichait déjà plus que complet en cette fin de première période! Les Rouges ayant cumulé trois points de pénalité, ils ont automatiquement accordé un point aux Bleus, ce qui aurait pu avoir des conséquences désastreuses si les Bleus avaient remporté l’impro. Et ils ont bien failli la gagner! Après que l’arbitre leur a accordé le point, l’entraîneur Benoit Chartier s’est prévalu du droit au recomptage, et le public lui a donné raison. Point aux Rouges! La période s’est donc terminée sur un pointage de 3-2 pour les Bleus plutôt que de 4-1.
Deuxième période : le vent se lève
Amputée de deux joueurs, l’équipe des Rouges a commencé la deuxième période avec un sérieux handicap et la courte comparée Cafouillage lui a filé entre les doigts. Ils se sont cependant repris avec la mixte Le repaire du chat (ou Le repère du chat?), dans laquelle l’expérimentée Sophie Caron, dans le rôle d’une petite fille en quête de sa poupée, n’a pas cédé un seul pouce de terrain à Pier-Luc Funk, qui proposait un personnage coloré et excentrique vraiment réjouissant. La volonté de Funk de dicter le rythme de jeu lui a cependant valu une pénalité pour manque d’écoute. Le banc des pénalités a décidément été très populaire lors de ce match! Cumulant à leur tour trois points de pénalité, les Bleus ont accordé un point aux Rouges, qui ont également remporté l’impro, créant l’égalité pour la première fois de la partie.
La comparée de 10 minutes Siècle a donné lieu à deux belles et très touchantes improvisations, superbement construites par les équipes étoilées et saluées avec enthousiasme par le public. Les deux caucus ont accouché de la même idée, celle d’un aîné célébrant son 100e anniversaire en se remémorant les moments importants de sa vie, et l’exécution des impros a été assez similaire, mais les joueurs ont proposé des histoires bien différentes. Les équipes ont envoyé leur champion conteur: Salomé Corbo pour les Rouges et Laurent Paquin pour les Bleus. Tous deux ont été largement soutenus par leur équipe respective rejouant les scènes évoquées. Si les Rouges ont choisi de jouer jusqu’aux dialogues des histoires de cette femme qui n’a jamais su aimer qui que ce soit, les Bleus ont plutôt laissé toute la place au récit de leur centenaire doublement marqué par les grandes guerres et hanté par ses fantômes. L’équipe de l’entraîneur François-Étienne Paré a en effet opté pour un jeu muet et tout en retenu; un excellent choix qui lui a valu de remporter l’impro. Un petit manque d’écoute a renvoyé Réal Bossé au banc des pénalités pour une deuxième fois (10 minutes d’arrêt de jeu cette fois!).
Une troisième période sur les chapeaux de roue
Après une deuxième période, dont l’émotion et la structure narrative ont été les vraies vedettes, le match des étoiles a poursuivi sur sa lancée. Avec un pointage de 5 à 4 pour les Bleus, bien malin qui aurait pu prédire l’issue du match!
Les joueurs Salomé Corbo et Marie-Soleil Dion ont ouvert le bal de cette troisième période avec une impro sans thème de 5 minutes, où les crises à répétition d’une fillette adoptée (Salomé Corbo) ont failli avoir raison de l’équilibre mentale de sa mère (Marie-Soleil Dion). La fillette a gagné contre sa mère, point Rouges. Mais c’est à la deuxième impro, une chantée intitulée Le défi, que le Club Soda est véritablement entré en éruption. Ayant hérité du style opéra, les Rouges ont retourné ce désavantage à leur avantage grâce à une superbe prestation de Sophie Caron, la championne incontestée des chantées, dans la peau d’une ex-fumeuse sur le point de craquer : «J’ai déjà le cancer, de m’arrêter à quoi ça sert?» Les impressionnantes vocalises de Caron ont largement remporté l’adhésion du public qui les a préférées aux insultes pourtant franchement bien tournées des Bleus pour leur rockbattle.
Dans la mixte Le fennec de l’espace, à la manière de George Lucas, on a eu droit à une jolie galerie de personnages, de la princesse en détresse, au jeune padawan, en passant par Yoda, C-3PO et un méchant au pouvoir mental pas si impressionnant. Très éclatée, mais plutôt confuse, l’impro n’a pas eu l’heur de plaire à l’arbitre, qui a tout de même passé l’éponge, laissant entendre que les joueurs avaient sûrement été inspirés par la nouvelle trilogie de Lucas.
La deuxième comparée de cette dernière période a été plus concluante. Avec un seul joueur par équipe, L’origine du mal a en effet donné naissance à de idées porteuses des deux côtés. Les Rouges ont envoyé Salomé Corbo au front : elle nous a offert une belle variation sur le mythe du péché originel, concluant finalement que le mal, c’est avant tout de voir ses enfants grandir dans cette société… Du côté des Bleus, qui ont décidé d’user de leur feinte Gravel sur cette impro, on a choisi Laurent Paquin, qui a slammé comme un pro l’histoire à la fois touchante et perturbante du «Pauvre petit Marco», seul devant son écran cathodique, occupé à s’astiquer la trique, mais qui un jour entrera à l’école avec une arme. «En un sens, je comprends ce que tu as vécu, moi-même l’humanité, je l’ai dans le cul. On te voit aux nouvelles, ton image se répand et m’ensorcelle.» En remportant cette impro, les Bleus ont donc empoché deux points, égalisant la marque à 7-7 et forçant la tenue d’une prolongation.
L’issue du match des étoiles 2015 s’est donc jouée sur une comparée de 30 secondes intitulée Le tableau périodique. Les Rouges l’ont jouée plus littéralement avec un élève en examen suant à grosses gouttes sur les éléments du tableau périodique, tandis que les Bleus ont misé sur un amusant tour de passe-passe, le fluet Pier-Luc Funk se transformant subitement en terrible Hulk Paquin après avoir bu une solution de sa composition, une proposition qui a fait beaucoup rire le public et a permis aux Bleus de remporter le match. Une rencontre intelligente et dynamique comme on les aime!
Le tournoi fera relâche pour Pâques, mais la LNI annonce une nouveauté cette année: elle tiendra trois Laboratoires à l’Espace Libre pour questionner le jeu: «Qu’est-ce qui distingue le personnage créé spontanément dans une improvisation de celui qui a été répété?» (11 avril 19h30), «Comment improviser sans être esclave de ses idées?» (25 avril 19h30) et «Est-ce qu’une situation de départ annonce toujours le même type de fin?» (30 mai 19h30). Plus d’infos : Espace Libre.
Les étoiles de la rencontre
Première étoile : Eve Landry
Deuxième étoile : Salomé Corbo
Troisième étoile : Pier-Luc Funk
Les champions 2015 de la Confrontation des étoiles :
Champion Bruiteur : Pier-Luc Funk
Champion Sprint d’endurance : Eve Landry
Champion Gestion du temps : Joëlle Paré-Beaulieu
Champion Rimeur : Salomé Corbo
Champion Sans paroles : LeLouis Courchesne
Champion Transformiste : Eve Landry
Champion Meilleur Caucus : Eve Landry
Champion des Émotions : Eve Landry
Champion des Accents : Virginie Fortin
Champion Poète : Joëlle Paré-Beaulieu
Champion en échappée : LeLouis Courchesne
Champion Chanteur : Virginie Fortin