La 12e édition de Petits Bonheurs, festival qui se dédie aux créations jeune public, s’est ouverte le 5 mai dernier. Daphné Bathalon et Olivier Dumas assisteront à une quinzaine de spectacles  pour notre plus grand plaisir – et le leur!

par Olivier Dumas

Flocon

Jeudi matin, 12 mai, à la Maison de la culture Maisonneuve, Jessica Blanchet replongeait dans l’univers de son spectacle joliment intitulé Flocon, qu’elle avait déjà donné, entre autres, à L’Illusion, théâtre de marionnettes.  Elle s’illustre, une fois de plus, en jouant tous les personnages, dans un décor artisanal conçu par ses doigts.

Pendant un peu plus d’une demi-heure, l’artiste aux multiples chapeaux nous entraîne de Montréal au Nunavut. Le périple s’amorce avec une dame à la casquette, Prudence. Celle-ci travaille pour Prudence Livraison, et attend incessamment une grosse caisse de bois. Celle-ci arrive par l’une des portes d’urgence (bien intégrée tout au long de l’intrigue). Prudence interpelle avec aplomb son jeune auditoire (qui lui répond avec une grande spontanéité). Puis, elle nous quitte d’une manière un peu expéditive. Comme un coup de vent arrive Jessica, une aventurière globe-trotter. Cette dernière demande à ses nouveaux témoins de l’aider à trouver sa boite, où loge un mignon manchot (Flocon, comme le titre). Tous répondent en chœur. Les deux compères quittent pour les territoires du Grand Nord québécois. Ils croisent des animaux sauvages, comme des ours polaires (« qu’il ne faut pas déranger, pour ne pas finir en petit-déjeuner »), avant d’arriver dans un village « quasi invisible » sur un globe terrestre. Jessica et Flocon fraternisent avec Kanuk, une dame aux mille rides, qui leur raconte une légende inuite sur l’origine des aurores boréales. Flocon ouvre ainsi nos horizons sur une culture qui a beaucoup à transmettre à l’ensemble de l’humanité.

FLOCON-de-Jessica-Blanchet

Le talent de conteuse de Blanchet apporte à l’œuvre une dimension orale très dynamique, riche et foisonnante. À l’aide d’une carte géographique déployée sur le sol et de nombreux petits objets, la narratrice démontre dans son « exposé » un naturel communicatif. Les jeunes spectateurs ne se privent pas de lui répliquer; toutes les interventions sont, avec drôlerie, intégrées à sa prestation. Par contre, le traitement scénique laisse un sentiment d’inachèvement, le potentiel fertile de son orchestratrice mériterait d’être mieux exploité. Les scènes magnifiques (comme la tempête de neige rendue avec une lampe de poche et des jeux d’ombres) et les interactions avec une marionnette attachante gagneraient ainsi beaucoup en force évocatrice.

Les choses berçantes

En cette dernière journée de la semaine, à la Maison de la culture Maisonneuve, le Théâtre des Confettis explore le sens de l’amitié entre deux sœurs dans sa plus récente création. Celle-ci est écrite et orchestrée par la prolifique Véronique Côté (La fête sauvage et le meilleur texte du collectif Photosensibles). En 2012, la jeune femme de théâtre s’était également illustrée par son incursion dans le répertoire jeune public avec Flots, tout ce qui brille voit.

Avant de s’installer autour de l’espace aménagé, le public doit retirer ses chaussures. La demi-heure se déroule ainsi dans un contexte très intimiste, avec un décor tout blanc. La scénographie comprend, entre autres, une petite maison encerclée par des lacets rouges, un banc, une corde à linge retenue par deux troncs d’arbres. Nous sommes en hiver. Rosita, avec un regard espiègle, arrive sur le seuil de la résidence. Tout à coup, des pleurs se font entendre. C’est Annou, cachée sous une sorte de sac. Elle porte en elle un lourd chagrin et ne veut pas « partager les nuages avec les autres ». Se déplaçant comme une fourmi, elle refuse de sortir de sa cachette. Heureusement, sa frangine refuse d’abdiquer devant un tel entêtement. Pour lui redonner le sourire, elle lui bricole, entre autres, des sandwichs de confiture avec des ciseaux et siffle avec les oiseaux.

Crédit : site de Théâtre des Confettis
Crédit : site de Théâtre des Confettis

En continuité de Flots, la production de petites formes  révèle chez la metteure en scène un sens de l’esthétisme de plus en plus raffiné. La recherche visuelle ne nous empêche pas de ressentir les émotions de l’histoire et de concevoir toutes ses composantes comme des choses vivantes. L’exécution scénique s’illustre par son traitement fin des états plus sombres, comme la douleur et la colère. Dans cette quête personnelle de rapprochement et de réconciliation, les deux comédiennes sensibles et inspirées, Marie-Josée Bastien et Agnès Zacharie, témoignent d’une très agréable complicité. Avec de mignonnes métaphores (« cuisiner un jardin », « jardiner une chanson », « une sœur c’est une moitié de biscuits » et son message d’espoir (« le retour du printemps avec ses nombreuses fleurs »), un écrin comme Les choses berçantes caresse bien des yeux et des oreilles.

Tendre

Puis, en ce vendredi après-midi, le duo de danseurs dirigé par Estelle Clareton amuse vivement les tout-petits, à la Maison de la culture Maisonneuve. Pendant une cinquantaine de minutes, nous faisons la connaissance de deux individus farfelus, un garçon et une fille. Le duo est tout de bleu clair vêtu,  avec ses collants et ses casques de spéléologue. Or, une coïncidence inconnue les contraint à se retrouver tout au long de la représentation, prisonniers dans un large élastique rouge vif.

Crédit Stéphane Najman
Crédit Stéphane Najman

La première incursion dans le répertoire jeune public, pour la chorégraphe, a foulé d’abord les planches de l’Agora de la danse en novembre 2015, récoltant au passage une critique positive de notre collègue Sara Thibault. Décrite comme un chevauchement de danse, de théâtre et d’art clownesque, elle suscite de fortes réactions du début à la fin. Le décor, constitué d’un mur jaune, comme des stores vénitiens verticaux, permet de beaux effets d’éclairage. La conception sonore d’Éric Forget fusionne des compositions originales et un extrait connu, Le lac des cygnes de Tchaïkovski (d’ailleurs, anecdote, un jeune spectateur a dit tout haut qu’on l’entend « trop souvent dans les spectacles »). L’interprète féminine exploite avec ferveur la dichotomie entre les facettes noires et blanches des créatures ailées ; elle ose même démontrer un esprit parfois plus combatif que son partenaire délicat à l’occasion, cassant au passage certains stéréotypes.

Brice Noeser et Katia Petrowick interagissent surtout par leurs mouvements, mais aussi avec la parole. Le premier, avec sa petite moustache sous le nez, surprend lorsqu’il s’exprime avec un timbre de voix très aiguë. Lorsque leurs deux corps se rapprochent ou se trouvent dans une grande proximité, Clareton évite les pièges de la provocation inutile. Chacun des frôlements est habilement esquissé. Mais l’ensemble se caractérise davantage par son ton loufoque. Quand  le tandem s’entortille dans l’objet contraignant, ils ressemblent à deux créatures de dessins animés type cartoon, vives et loufoques.

Pourtant, des relâchements entraînent une baisse de tension, surtout lors des échanges dialogués, sans musique en arrière-fond. À l’opposé, les séquences les plus dynamiques de  confrontation entre le couple et l’élastique piquent la curiosité. Par exemple, l’un des protagonistes représente une figure connue avec le ruban (comme une maison), et l’interaction est instantanée. Au dénouement, les magnifiques lumières d’Éric Champoux sont d’une poésie frissonnante.

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