Entre les lignes de Québec en toutes lettres – 2e partie
par David Lefebvre
Du 29 septembre au 8 octobre 2016, notre rédac’ chef David Lefebvre se transforme en « véritable festivalier » et assistera à une dizaine d’événements du Québec en toutes lettres. Thème de cette année : le polar et le roman policier.
Compte-rendu 2 – Love Is In the Birds ; Adieu Sherlock! ; Crimes à la bibliothèque.
LOVE IS IN THE BIRDS : UNE SOIRÉE FRANCOPHONE SANS BOULE DISCO
Trois ans déjà que le Théâtre du Trillium promène un peu partout son « happening littéraire festif et musical ». Et c’est à Québec que la tournée se termine, dans la minuscule, mais accueillante salle de la Maison de la littérature. Un moment émouvant pour la troupe, qui a salué le public les larmes aux yeux. À mi-chemin entre spectacle-cabaret et lecture — les habitués du Jamais lu ne seront pas dépaysés —, Love is in the Birds se veut un collage-feuillage de multiples textes poétiques (ou non) à partir de L’arbre est dans ses feuilles de Zachary Richard, provenant de partout dans la francophonie. Comment cette chanson, qui s’est taillée une juste place dans notre folklore populaire, a-t-elle pu inspirer les nouvelles plumes du monde? L’amour, le cœur, l’oiseau, l’œuf, le nid, le trou, le nœud, la branche, l’arbre : autant de couches, de strates, que de pistes à suivre.
Sous ses airs festifs, Love is in the Birds réfléchit et pose certaines questions somme toute existentielles : qu’ont laissé les générations avant nous? Que lèguerons-nous à notre tour? À quoi rime l’avenir? Par quoi passera la prochaine révolution? Quels sont nos remords, nos regrets, nos désirs inassouvis? Qu’oublierons-nous dans ce monde qui consigne tout? Les nombreux textes, sur le ton de la confession, de la déclaration, de la chanson ou encore de la revendication, abordent avec humour, introspection et candeur l’amour, la mort, les enfants, la folie, la fierté; on sent la colère, l’amertume, l’envie, le désespoir, mais aussi le bonheur, la douceur, l’audace. Certains moments sont réellement bouleversants, dont cette discussion à sens unique d’une femme qui regarde son père prêt à sauter dans le vide, alors qu’elle aimerait tellement lui dire « je t’aime », muette à cause du seul héritage paternel : le silence. Et cette mère qui chuchote quelques mots à son petit oiseau, son enfant prématuré, tentant de le convaincre de vivre, du moins, encore un peu, le temps de découvrir ce que la vie lui réserve. Accompagné à la guitare et à la voix par le surprenant et rigolo Stef Paquette, les Julie Grethen, Nicolas Desfossés, Maxine Turcotte, Marjolaine Beauchamp et Gabriel Robichaud (ces deux derniers signent aussi quelques textes) livrent avec énergie les mots d’Annie Cloutier (Ottawa/Gatineau), Sonia Cotten (Abitibi), Céline Delbecq (Belgique), Julie Gilbert (Suisse), Georgette LeBlanc (Acadie), Louis Patrick Leroux (Ottawa/Montréal), Lisa L’Heureux (Ottawa/Gatineau), Robert Marinier (Ottawa/Gatineau), Michel Ouellette (Ottawa/Gatineau), Mylène Roy (Montréal) et Anne-Marie White (Ottawa/Gatineau). Un spectacle terriblement vivant sur la transmission qui, espérons-le, saura trouver de nouvelles voix pour se faire entendre, encore et encore.
Rappel : le Théâtre du Trillium propose, du 11 au 15 octobre 2016 au Périscope, #PigeonsAffamés – voir les détails
ADIEU SHERLOCK !
Au meurtre ! On a assassiné Sherlock Holmes ! Mais qui a fait le coup ? Cinq suspects sont dans la mire des policiers : le narrateur du Horla, le docteur Jekyll, le reporter Spirou, le gentleman cambrioleur Arsène Lupin, la Duchesse de Québec et même ce bon vieux Watson. Saurez-vous identifier le ou la coupable ?
Adieu Sherlock, une production de JP – Escouade créative, se veut un parcours ludique en plein coeur de la Maison de la littérature (l’occasion est bonne pour la (re)visiter de fond en comble). Après avoir visité la scène du crime (un petit pincement au coeur en pensant au corps du plus grand détective de tous les temps, lâchement assassiné après avoir été frappé puis atteint dans le dos par un projectile d’arme à feu), les participants, par groupes de 12, visitent tour à tour les suspects de l’enquête, armés simplement d’une feuille et d’un crayon. Sauront-ils saisir la vérité au travers des confessions, voir tous les indices, recouper tous les alibis ?
À la conception, aux textes et à la mise en scène, Catherine Côté, Éric LeBlanc, Maxime Plamondon et Virginie St-Pierre ont fait un superbe travail pour divertir les spectateurs-promeneurs et les sécuriser. Trop peut-être : les échanges, quoiqu’interactifs, ne sont pas libres : avant chaque interrogatoire, le policier responsable du groupe remet aux participants un petit carton sur lequel est écrit une réplique ou une question à dire au bon moment. Une idée intéressante, créant des dialogues guidés, très théâtraux, mais qui occasionne parfois un manque de naturel dans les échanges, en plus de laisser d’autres questions en suspens.
Il faut saluer le travail des comédiens, tous terriblement amusants – Maxime Plamondon en jetait dans la peau du narrateur du Horla, devenu fou ; Guillaume Pelletier épatait sous les traits de Jekyll et Hyde ; Karl-Patrice Dupuis interprétait fort correctement à l’écran (joint par Skype) un Watson tout aussi menteur qu’abasourdi par la nouvelle ; dans les habits du groom belge, Guillaume Pepin rend Spirou plus vivant et sympathique que jamais et Charles Fournier (Arsène Lupin) charmait très facilement ces dames – et ces hommes -, vêtu de sa queue de pie et de son haut-de-forme. Catherine Côté, en Duchesse, jurait férocement et magistralement dans cette distribution : vêtue d’un costume de dominatrice (en fait foi l’homme en laisse à ses côtés), au langage québécois on ne peut plus assumé et coloré, elle invective généreusement ceux et celles qui osent la questionner, au grand plaisir des spectateurs. Finalement, rendez-vous au rez-de-chaussée pour le débriefing : Mary-Lee Picknell, en inspectrice en chef sympathique et trop caféinée, résume (en n’épargnant aucun détail) la soirée, tout en éliminant les innocents. Même si on comprend les contraintes de temps et de lieu, il aurait été souhaitable de laisser quelques minutes aux membres des groupes pour échanger sur leurs idées, sur les indices dénichés, pour créer une complicité, donner l’impression d’une certaine interactivité ou, du moins, un sentiment d’enquête. Les nombreuses notes de ceux et celles qui prenaient le jeu (un peu trop) au sérieux (comme moi !) auraient au moins servi – peut-être! – à quelque chose.
Malgré quelques incongruités ou détails qui nous échappent et une certaine rigidité pour les interactions, Adieu Sherlock ! fut une expérience fort plaisante, finalement tout aussi théâtrale que ludique.
CRIMES À LA BIBLIOTHÈQUE
Second tome d’une série de recueils de nouvelles, Crimes à la bibliothèque fait superbement suite à Crimes à la librairie, qui ont connu depuis leur sortie un succès tout aussi critique que populaire. Dix-sept auteurs ont participé à cette édition qui nous mène aux quatre coins du monde, de Québec à Venise, en passant par le Far West ou le Moyen-Orient. Sous la direction, encore une fois, de Richard Migneault, la bibliothèque devient ici 17 fois le lieu d’un crime – ou presque.
La Maison de littérature, construite à l’intérieur des murs de l’ancienne église méthodiste de la rue St-Stanislas, ne pouvait être mieux choisie comme lieu de lecture de Crimes à la bibliothèque. Trois nouvelles complètes et quatre extraits seront offerts au public durant la soirée. De ces extraits, en direct ou enregistrés, notons ceux signés par Maureen Martineau, Francine Ruel, Anna Raymonde Gazaille et André Marois.
Qui dit crime, dit passion, dit émotion. Il n’était donc pas question d’avoir une lecture ennuyante, insipide ou morne. Signée par le metteur en scène Patric Saucier, la mise en lecture est relativement dynamique, théâtrale, souvent amusante. Les comédiennes Catherine Simard (particulièrement brillante) et Caroline Stephenson, derrière leur chariot chargé de livres, défendent seules, à deux ou trois (avec Saucier) les narrateurs et les personnages des nouvelles de la soirée.
Sur un ton qui rappelle le conte de fées, Catherine Simard ouvre le bal avec Combustion lente, de François Lévesque. Un jeune homme se pointe à une retenue de son école pour assassiner quatre confrères et consoeurs qui l’intimident depuis longtemps. Saura-t-il mener sa vengeance jusqu’au bout ? Patric Saucier fait vivre l’homme qui déteste les livres, jusqu’à vouloir brûler la bibliothèque qui vient d’ouvrir derrière chez lui (J’haïs les livres, François Barcelo), puis Catherine Simard et Caroline Stephenson interprètent les membres de la famille Bouchard, discutant de l’église de la paroisse devenue bibliothèque, et de la mort du curé quelques mois après : malédiction ? (Rififi à la bibli, Roxanne Bouchard).
Quelques extraits musicaux viennent contribuer à l’ambiance qu’installent les interprètes au cours des lectures, et les animations à l’écran enjolivent le tout, tout en indiquant à chaque chapitre le titre et le nom de l’auteur(e) de la nouvelle en cours.
Qui n’aime pas se faire raconter des histoires ? Avec trois comédiens de talent et une mise en lecture savoureuse, la soirée passe très vite, et l’envie de dévorer le reste du bouquin est très fort, en sortant de la bibliothèque… avant qu’un crime n’y soit commis.