(CRITIQUE) National Theatre Live – War Horse : des chevaux et des marionnettes
Par Daphné Bathalon
Le théâtre porte un regard éclairant sur la nature humaine, fait réfléchir sur des enjeux de société, ouvre des horizons, décortique ou explore le discours politique ou culturel… mais parfois, on lui demande simplement de nous émouvoir. Et, avec la mégaproduction War Horse, adaptée du roman de Michael Morpurgo (très connu dans le monde anglo-saxon, moins dans le nôtre), le National Theatre touche droit au cœur. Impossible en effet de ne pas s’émouvoir devant cette très belle histoire équestre, qui se déroule pendant la Première Guerre mondiale.
En 1914, dans les champs aussi vastes que l’horizon du verdoyant Devon, Joey, cheval fougueux, vit heureux aux côtés de son jeune maître Albert jusqu’au jour où il est vendu à la cavalerie, contre la volonté d’Albert, et envoyé en France. Il y fait face aux plus grands défis de sa vie. Albert quant à lui, incapable d’oublier son cheval bien aimé, s’enrôle dans l’armée malgré ses 16 ans pour aller le retrouver.
La production, lauréate de nombreux prix depuis sa création en 2007 et ayant été jouée dans plus de 10 pays, fait les beaux jours du West End londonien. Déjà présentée à quelques reprises par le National Theatre Live dans les salles de la chaîne Cineplex, elle est de retour à Montréal pour deux projections (la première était le 3 décembre, la seconde le 7).
Que dire sinon que tous les amoureux de marionnettes géantes ou d’histoires d’amitié touchantes entre hommes et bêtes devraient saisir l’occasion de voir War Horse? Le spectacle mise tout sur ses personnages attachants, tant humains qu’animaux, et leur consacre pour ainsi dire tout l’espace. On ne se pose pas ici la question de la pertinence de la guerre ou de déterminer qui étaient les bons, qui étaient les méchants. L’histoire, si elle nous est racontée par les humains, est avant tout présentée du point de vue du cheval Joey.
Pour un spectacle à grand déploiement, la scène est plutôt dépouillée. La scénographie évoque tous les changements de lieux grâce à de magnifiques dessins de paysages, de chevaux et de champs de bataille projetés sur un large écran qui rappelle un bande de papier déchirée (celle du cahier à dessin d’un des personnages). D’abord lumineux et chatoyants, les éclairages passent ensuite des bucoliques paysages anglais aux menaçants jeux d’ombre d’une guerre de tranchées, où les combattants ne savent pas ce qui de la boue, des balles ou du gaz aura raison d’eux. L’histoire de War Horse est aussi portée par la belle musique aux accents celtes signée Adrian Sutton et par les chansons folk de John Tams, interprétées en solo ou par un chœur de villageois ou de soldats.
Les véritables vedettes de cette production sur la beauté et la fragilité de l’amour et de la vie sont néanmoins les extraordinaires marionnettes de la South Africa’s Handspring Puppet Company. Les chevaux, de taille réelle, impressionnent par leur stature, bien sûr, mais c’est la vie que leur insufflent leurs marionnettistes qui renverse le spectateur. Yeux curieux, naseaux nerveux, queues qui fouettent l’air, oreilles qui bougent selon la provenance des sons, jusqu’au moindre frémissement de pattes ou de crinière… tout concourt à rendre vivantes ces bêtes majestueuses qui trottent, galopent, bondissent ou s’effondrent, faisant accélérer les battements de cœur du public à plus d’une reprise. Quand on dit que les marionnettistes font corps avec leurs marionnettes, War Horse l’illustre parfaitement. Assez rapidement, le côté technique des marionnettes s’efface pour laisser toute la place aux personnages que sont ces chevaux. Ceux-là mêmes que la grande histoire oublie souvent, mais qui ont été eux aussi des victimes innocentes de la Grande Guerre.
Et War Horse leur rend un très bel hommage.