La LNI s’attaque aux classiques – Dans l’univers de Carole Fréchette : le moi et le monde
par Sara Thibault
Le 7 décembre dernier, Salomé Corbo, Amélie Geoffroy et Mathieu Lepage s’attaquaient à l’œuvre de Carole Fréchette. La soirée a également été l’occasion de lancer l’ouvrage Carole Fréchette, dramaturge. Un théâtre sur le qui-vive, dirigé par le professeur, chercheur et critique Gilbert David, à paraître en librairie en janvier 2018 chez Nota Bene. Rassemblant des analyses d’une douzaine d’auteurs, ce livre constitue une ressource importante pour quiconque s’intéresse au travail de Carole Fréchette. François-Étienne Paré et Alexandre Cadieux ont d’ailleurs mentionné s’être beaucoup servi des analyses qui s’y retrouvent pour préparer leur soirée d’improvisation.
Malgré son apparente simplicité, la dramaturgie de Carole Fréchette présente des trésors cachés qu’une lecture attentive permet de faire ressortir. Sa manière de mettre en relation des questionnements existentiels intimes avec des réflexions sur le monde et le vivre-ensemble n’a pas son pareil dans le théâtre québécois contemporain. C’est d’ailleurs cette oscillation entre intime et collectif qui a marqué la plupart des improvisations de la soirée.
Plus fort du succès des deux premières éditions de La LNI s’attaque aux classiques, le duo François-Étienne Paré (animateur et metteur en scène) et Alexandre Cadieux (conseiller dramaturgique) dirigent d’une main de maître les rouages d’une formule théâtrale accrocheuse à la mécanique parfaitement huilée. Alexandre Cadieux semble avoir une connaissance encyclopédique de l’histoire du théâtre québécois et de ses dramaturges. Il arrive en très peu de temps à mettre en contexte le parcours de l’auteure, qui est passée par le jeu et la création collective avant de faire de l’écriture son occupation principale. Ses aptitudes pédagogiques sont indéniables alors qu’il fait ressortir certaines particularités de l’écriture de Carole Fréchette : la conscience de l’actualité internationale, la mise en relief d’enjeux sociaux, le recours aux contes, la présence de métathéâtralité, et plus encore. Par ailleurs, chacun de ces traits caractéristiques fait l’objet d’un exercice d’improvisation animé et dirigé par François-Étienne Paré, qui permet aux acteurs d’apprivoiser et d’éprouver tranquillement l’univers de l’auteure qu’ils cherchent à mettre en valeur. Ainsi, les trois improvisateurs ont été amenés à inventer des grands titres de journaux témoignant de l’horreur du monde, à multiplier les emplois loufoques, à valoriser le small talk ou encore à utiliser le souvenir comme manière d’éclairer le présent. La présence à la fois réconfortante et éclairante de François-Étienne Paré auprès des acteurs permet ainsi de bien les préparer à l’improvisation finale.
Si les trois comédiens ont livré une excellente performance tout au long du spectacle, Salomé Corbo est définitivement celle qui s’est le plus abandonnée dans l’exercice. L’improvisation finale reposait d’ailleurs sur ses épaules, alors qu’elle incarnait une femme qui « démissionne de sa vie » pour ne conserver que 4% de son passé. C’est avec beaucoup d’imagination qu’elle a tissé les fils de l’intrigue pour installer une relation intéressante avec ses parents, sa fille et son conjoint.
Comme le mentionnait Carole Fréchette durant la discussion qui clôt le spectacle, si l’exploration thématique de la poétique d’un auteur nécessite un travail magistral, il est plus difficile encore de saisir l’essence de sa langue. Alors que les alexandrins de Racine ou la langue de Shakespeare peuvent être pastichés assez facilement pour des acteurs qui les ont probablement travaillés durant leur formation, la familiarité de la langue québécoise d’auteurs contemporains comme Carole Fréchette est plus difficile à reproduire dans le cadre d’un exercice aussi spontané que celui de l’improvisation. Or, Salomé Corbo, Amélie Geoffroy et Mathieu Lepage ont bien réussi à cerner le ton de l’auteure, principalement dans la dernière improvisation de la soirée.