Par Olivier Dumas

Pour clore la troisième édition de La LNI s’attaque aux classiques présentée une fois de plus à l’Espace Libre, les instigateurs du projet n’ont pas choisi le chemin le plus facile ou le plus fréquenté pour ce type d’exercice. L’auteur du jour, Michel-Marc Bouchard, exige une certaine subtilité en apparence moins évidente à rendre intéressante dans un cadre «performatif» comme celui d’un match d’improvisation. Fort heureusement, l’exécution scénique s’est révélée brillante, parfois étonnante et très émouvante.

Après une première année à s’immiscer davantage auprès des auteurs plus anciens du théâtre, les deux orchestrateurs de cet événement, François-Étienne Paré et Alexandre Cadieux, ont ensuite puisé également dans des eaux plus contemporaines, et aussi québécoises, avec notamment des soirées autour de Réjean Ducharme et Suzanne Lebeau. Ces derniers jours, le public a pu tenter l’expérience avec les incontournables Ionesco, Shakespeare et Molière, sans oublier des choix plus étonnants comme Sarah Kane et la présence de notre dramaturgie nationale avec Carole Fréchette, Larry Tremblay, Michel Tremblay et Robert Lepage.

Pour la représentation sur Michel-Marc Bouchard, l’équipe d’improvisation comprend Réal Bossé, Suzie Bouchard et Diane Lefrançois (la même que pour le Sarah Kane). Comme pour les autres soirées, la première partie dure exactement une heure (avec les minutes et les secondes restantes qui défilent sur un écran). Cadieux intervient à quelques reprises pour expliquer les grands thèmes et grandes lignes de l’écriture de Bouchard, soit les douloureuses relations amoureuses et familiales, le statut de l’artiste, les identités sexuelles parfois floues et complexes. Il précise aussi le mélange chez l’écrivain entre l’humour, la mythologie religieuse et le mélodrame. Entre deux exercices d’impro, Paré donne ses directives aux artistes et les guide à l’occasion (une décision salutaire à différentes reprises) pour aller plus loin. Après une pause de dix minutes (également chronométrée), les deux improvisatrices et l’improvisateur conçoivent littéralement une petite pièce inédite de trente minutes.

Quelques-unes des pièces les plus connues et les plus dramatiques de l’auteur sont mentionnées (Les Feluettes, Les Muses orphelines, Le Peintre des madones), contrairement à celles plus comiques et plus «légères» comme Les Grandes Chaleurs et Les Papillons de nuit, passées sous silence.

Image promotionnelle LNI Classique – crédit Pascale Gauthier

L’an dernier, la soirée sur Ducharme (à laquelle j’avais assisté) m’avait déçu en partie parce que les artistes avaient misé sur certaines facilités et une redondance dans leur manière d’aborder une matière qui voguait davantage dans le monde de l’enfance et l’imaginaire. Cette fois-ci, l’équipe s’est investie avec plus de rigueur, aidée par Paré qui ne se gênait pas pour donner des indications en cours de route afin d’approfondir le jeu des interprètes et éviter justement une sorte de cabotinage. Par exemple, la représentation s’est amorcée alors que les trois acteurs lancent des phrases-révélations sur des secrets de personnages, dont certaines ont entrainé des fous rires de l’auditoire. Par la suite est survenue une séquence très drôle où les artistes ont tenté de trouver une définition de leur cru (toujours inexacte) de certains mots, dans l’esprit du personnage d’Isabelle des Muses orphelines. Ainsi, «émonder» signifierait «regarder en boucle les films d’Anne Émond» ou encore «une Raymonde qui aurait décidé de changer de sexe», alors que «luminescence» s’apparenterait à «une ancienne fête païenne que plus personne ne fête à notre époque» ou à la «lumière autrefois sur le casque d’un médecin». Les autres impros de la première partie n’ont pas craint d’aborder des enjeux plus douloureux comme les relations de pouvoir entre un patron et son employée, les problèmes conjugaux d’un couple ou encore la dualité d’une directrice de couvent et une jeune croyante. Par ailleurs, ont eu lieu à plus d’une reprise dans une même improvisation, des changements de rôles entre les positions de dominant et de dominé. Les moments cocasses côtoyaient harmonieusement ceux plus sobres et tragiques. Parmi les scènes fortes, mentionnons celle où le trio évoque assez librement la célèbre statue de marbre La Pietà de Michel-Ange. Avec les encouragements de Paré, Réal Bossé s’est même permis une exploration plus poétique autour de la neige (et même une allusion à la gomme à mâcher Chiclets).

En deuxième partie, les improvisateurs jouent leur piécette d’une demi-heure, inventée pour l’occasion. Le ton demeure plutôt sombre, avec l’aide d’une bande sonore réussie et des éclairages en clair-obscur. L’histoire tourne autour d’une mère possessive, de son fils adulte qui n’est jamais allé plus loin que le dépanneur («et une seule fois») et de la copine qui en a marre de la domination de la matriarche. Pour les amatrices et amateurs de Michel-Marc Bouchard, la proposition demeure très intrigante, surtout que la relation mère-fille exposée ici rappelle l’inceste entre le père et la fille dans La Poupée de Pélopia (pièce non mentionnée par Cadieux et Paré). Les comédiennes et le comédien s’investissent avec une ardeur palpable.

La cuvée 2017 de La LNI s’attaque aux classiques se termine sur une note brillante et laisse présager d’autres aventures tout aussi audacieuses pour les années à venir.

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