collaboration spéciale Jean-François St-Arnault

Canadian Stage, en collaboration avec Le Théâtre français de Toronto, accueille sur les planches de son studio de la rue Berkeley le désopilant Bigre, lauréate du Molière 2017 de la meilleure comédie française. Sur les 12 représentations prévues à la programmation, dix affichent déjà complet en date du soir de première. Ce mélo burlesque a séduit le public de la Ville Reine par son irrévérence et sa mécanique bien huilée.

Crédit photo Fabienne Rappeneau

Bigre, c’est l’histoire de trois voisins qui habitent le même étage d’un immeuble traditionnel et urbain que l’on retrouve, par exemple, dans les quartiers de l’Opéra à Paris. On y retrouve des microappartements, d’anciennes chambres de bonne, qui sont loués à prix modique. L’espace y est ridiculement restreint, les murs sont en carton et les toilettes sont partagées entre les locataires d’un même étage.

Cette promiscuité obligée est le moteur comique de l’œuvre. Un grand mince entre en scène, les bras chargés de son épicerie. Les ingénieuses techniques corporelles que l’habitude des petits espaces semble avoir forgées l’aident à se frayer un chemin jusqu’à ses quartiers. Le ton est donné. Le jeu comique de Pierre Guillois nous transporte dans une rythmique burlesque et nous fait comprendre toute la profonde détresse de ce pauvre bougre.

L’antagoniste fait son entrée. Bien en chair et court sur pattes, ce technophile en costard noir arbore fièrement son casque de moto blanc avec visière amovible. L’esthétique minimaliste de son appartement, son penchant pour la technologie et son comportement gravement obsessif compulsif, campe sa position diamétralement opposée à celle de son voisin. Ce qui n’est pas sans nous rappeler le célèbre duo du « slapstick » américain, Laurel et Hardy. Jonathan Pinto-Rocha, qui interprète ce technophile, nous offre quelques interprétations musicales d’une virtuosité vocale impressionnante, ce qui ajoute une profondeur humaine touchante à son personnage.

Dans ce décor de basse-cour, peuplé de « losers », surgit une plantureuse blonde qui s’installe dans la chambre au bout du couloir. Pour nos deux célibataires, la vie vient de changer.

Les scènes s’enfilent, la vie se développe à coup de grands rires ou de sourires intérieurs. Une heure et quart plus tard, le public s’est entiché de ces personnages touchants qui nous ont donné accès à une intimité criante de vérité, et ce, sans aucune parole ou presque.

Crédit photo Pascal Perennec

Les créateurs du spectacle ont réussi avec brio à jongler avec des thèmes sociaux sensibles. Si parfois ils surfent sur la limite de la rectitude politique, jamais le discours ne sombre dans un côté obscur qui pourrait causer scandale. Le spectateur averti sera provoqué. Même le plus puriste ne peut ici nier l’efficacité comique d’un « pet » bien placé.

L’interprétation d’Éléonore Auzou-Rocha est particulièrement intelligente. Son personnage un peu niais est empreint d’une générosité naïve sans borne. Son manque de classe et son mauvais goût ajoutent ce je-ne-sais-quoi d’épicé qui rend ses scènes savoureuses. La grande aisance de l’actrice sur scène lui permet de changer de registres avec un naturel désarmant. En un clin d’œil, on fait référence au Théâtre du Grand Guignol ; là, à « Punch and Judy ».

Créée en 2014 à Brest, en Bretagne, Bigre a été joué à plus de 400 occasions en France, en Belgique et en Suisse. Après une première nord-américaine qui fait salle comble à Toronto, l’équipe de Pierre Guillois de la Compagnie le Fils du Grand Réseau sera de retour sur les planches du Théâtre du Rond-Point à Paris, en juin prochain.

Bigre au Berkeley Street Downstairs Theatre, du 11 au 28 avril 2019

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