JAMAIS LU – Franchir les frontières

par Daphné Bathalon

LA CENDRE DE SES OS

« Comment peut-on partager un territoire et connaître si peu de choses les uns sur les autres? » nous demande le Jamais Lu cette année.

En ce 9 mai, 8e journée du festival, où on invite les nombreuses solitudes du Québec à abattre les murs qui les séparent, c’est à l’auteur et directeur artistique du Théâtre Ondinnok qu’on a confié la soirée et la mise en lecture de son nouveau texte, Nmitaqs sqotewamqol / La cendre de ses os.

Dans un village à proximité d’un territoire ancestral malécite (Wolastoqiyik), François Katanish tente d’amener de nouveaux investisseurs dans la région, son frère Martin, disparu depuis la mort de leur père, trois ans plus tôt, refait surface, habité par la vision d’un homme-ours. Il est vite rattrapé par tout ce qu’il avait fui, son deuil, sa blonde, l’ex violent de celle-ci et des secrets longtemps enfouis.

Ce texte fort de Jenniss parle un langage universel en puisant dans la tradition orale de ses ancêtres pour nourrir son récit autour de la quête de Martin. Sans décor ni costume, et avec une mise en scène très simple, mais parfaite pour mettre en valeur le texte, la distribution nous happe dans cette histoires aux nombreuses ramifications personnelles, identitaires et même politiques. Dans la peau de Martin Katanish, hanté par la mort de son père, Nicolas Gendron est particulièrement touchant.

De fait, portée par tous ses interprètes (Charles Bender, Nicolas Desfossés, Geneviève Dufour, Roger Wylde et Édith Paquet, à la narration), l’histoire remue plusieurs émotions chez les personnages et le public. Sentiment de perte, de trahison, douleur et attachement, tant à une histoire qu’à un territoire et à une langue, La cendre de ses os franchit les murs de notre méconnaissance des cultures des Premières Nations pour nous relier par nos peurs communes, nos doutes et notre besoin d’appartenance; des sentiments bien humains. De la même façon que les deux frères de l’histoire finissent par se retrouver grâce aux mots de la langue Wolastok.

La cendre de ses os sera mis en scène à La Licorne en avril 2020. C’est votre chance de l’entendre!

Crédit photo David Ospina

ET SI ON S’ÉTEIGNAIT DEMAIN?

Pour l’avant-dernière journée du festival, le Jamais Lu a invité 10 poètes sur scène. La veillée de poésie théâtrale Et si on s’éteignait demain? a rassemblé un public curieux et nombreux aux Écuries.

Pour cette soirée, Marie-Élaine Guay, qui signe l’idéation et la mise en lecture du spectacle, a choisi de nous pousser à franchir l’ultime frontière, celle de la mort, à lui faire face, à la questionner, et même à remettre en perspective la peur qu’elle nous inspire. À quoi penserons-nous l’heure venue? Que laisserons-nous après notre disparition?

« J’ai écrit pour apprendre à mourir », nous confie l’une, « La mort est une matière utile », souligne une autre avec raison. Le sujet inspire depuis longtemps les poètes, les auteurs et les artistes en général. C’est un incroyable moteur de création, et la perspective de la mort nous suit au quotidien, consciemment ou inconsciemment. Ceux et celles qui ont répondu à l’invitation de Marie-Élaine Guay ont été des plus inspirés. Leurs textes, variés en ton, en style et en portée, jusque dans leur interprétation, nous ont baladé des affres de la maladie, réelle ou imaginée, au douloureux sentiment de ne plus vouloir vivre, en passant par un inventaire en bonne et due forme des moments passés, heureux ou pas, ceux qui font qu’on a été en vie.

Fidèle au style des soirées poésie, chacun s’est levé tour à tour pour livrer ce qui, bien souvent, reste « pogné en dedans » parce qu’on n’a pas les mots pour le dire. Ombre au tableau cependant que cet étrange choix musical aux allures de musique d’ascenseur qui a accompagné plusieurs lectures. Les mots des poètes se suffisaient à eux-mêmes. Et on aurait souhaité, sur un pareil sujet, se sentir davantage saisi. Il est toutefois génial que le Jamais Lu franchisse ainsi les frontières des arts pour nous offrir de la poésie sur scène, en plus de sa librairie éphémère.

Crédit phot David Ospina
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