Casteliers : en attendant le printemps culturel

L’an dernier à pareille date ou presque, je voyais sans le savoir mon dernier spectacle «en présentiel» avant plusieurs mois; un spectacle pré-pandémique dans un Théâtre Outremont bien rempli, qui abordait les thèmes on ne peut plus à propos des technologies, de la consommation et de l’écologie. C’était au dernier jour du Festival de Casteliers, et la fierté et le soulagement s’entendaient dans le discours que la directrice artistique Louise Lapointe avait livré après cette dernière représentation. Bien peu d’entre nous se doutaient de ce qui nous attendait quelques jours plus tard.

Alors que le gouvernement Legault a donné, il y a quelques jours, un peu d’oxygène aux familles pour la semaine de relâche en permettant notamment aux musées et aux cinémas de rouvrir, le public est toujours privé de théâtre, des mois après la nouvelle fermeture annoncée en octobre 2020.

Marionnette géante Gaza, crédit Daphné Bathalon

Bien qu’elle ait dû annuler toute sa programmation en salle, l’équipe de Casteliers a décidé de tenir festival envers et contre tout pour cette 16e édition. C’est avec une grande fébrilité et même une certaine fragilité que le coup d’envoi a été donné, le mercredi 3 mars, à la Maison internationale des arts de la marionnette (MIAM). Après les discours d’usage, les portes de la Maison se sont ouvertes, juste le temps de laisser sortir une étrange et gracieuse créature, Gaza, sorte de pégase aux bois de cerf, créée à partir d’une feuille blanche. Son corps recouvert de plumes de papier s’est ébroué avant de suivre la belle voix de sa guide dans les rues d’Outremont, sous le regard surpris et charmé de quelques passants. À la façon du joueur de flûte de Hamelin, Gaza a entraîné le public dans son sillage. La pandémie n’aura pas raison de la magie de l’art de rue. Une création de Danielle Roy.

Marionnette géante Gaza, crédit Daphné Bathalon

L’appétit aiguisé par cette rencontre, j’ai poursuivi ma route vers l’avenue Bernard, passant, le coeur serré, devant le pavillon du parc Saint-Viateur, qui cette année ne résonnera pas tard en soirée du brouhaha chaleureux du Ouf, le festival off Casteliers. Heureusement, le off maintient avec sa bonhomie habituelle une présence virtuelle sur Facebook.

Sur Bernard et Van Horne, les marionnettes en vitrines attendent patiemment que les passants les remarquent. Grenouille juchée sur un comptoir au-dessus d’un menu de restaurant, créatures de chiffon vous examinant avec perplexité depuis la vitrine d’une buanderie, Petit Prince échappé de son histoire dans une librairie, fillette curieuse au bord du sentier des rêves au milieu de produits naturels, prospecteurs d’or chez le lunettier du coin… Qu’elles aient été conçues en 2020, en 1988 ou en 1964, les marionnettes, même figées en vitrine, semblent prêtes à s’animer. Pavla Mano a fait un formidable travail d’intégration et de montage pour ce parcours-exposition.

En plus de transformer la plupart de ses spectacles en résidences de création pour les artistes, Casteliers a transposé sa programmation dans le monde virtuel qui est le nôtre depuis un an : Ciné-Casteliers, cafés-causeries et ateliers ont parsemé la semaine.

À l’affiche de Ciné-Casteliers cette année, deux excellentes propositions. Tout d’abord, parlons du documentaire Les marionnettes naissent aussi. Tout amateur de marionnettes et de création manuelle se doit de voir ce documentaire signé par Noémie Géron. Entre 2016 et 2018, la réalisatrice est allée à la rencontre de trois grandes créatrices de marionnettes, des femmes qui ont donné vie à des centaines de marionnettes au cours de leur carrière en plus de transmettre leur passion et leur savoir-faire à une nouvelle génération d’artistes. Greta Bruggeman, Maryse Le Bris et Émilie Valantin ont toutes des techniques et des parcours très différents, mais elles partagent une même minutie et une même fascination pour les êtres qu’elles façonnent. En café-causerie, Greta Bruggeman et Émilie Valantin ont toutes deux exprimé leur reconnaissance envers la réalisatrice, disant combien il est rare qu’on s’intéresse à leur art.

Le documentaire nous ouvre, en toute simplicité, les portes des ateliers, qu’ils soient dans une ancienne usine de chaussures ou une salle de classe, pour nous faire découvrir un univers fait de tissus, de bois, de pâtes, colles et papiers, de croquis, de grosses machines de menuiserie aussi bien que de délicats fils de fer. Le spectateur se retrouve immédiatement enveloppé par le silence habité des mille et un petits bruits de la création, entre ciseaux tranchant le tissu et coups de marteau. Son attention est captée, pour ne pas dire capturée, par la voix posée et douce de Greta Bruggeman, par la passion d’Émilie Valantin et par les réflexions à la fois modestes et pleines de sagesse de Maryse Le Bris. Entre essais d’habillage et explorations de jointures marionnettiques, les plasticiennes présentent leurs démarches et processus de création, leurs opinions sur différents médiums ou la place de la marionnette dans le monde artistique, et la façon dont les oeuvres, les personnages et leur propre expérience influencent leur travail. Les voir travailler fascine, mais c’est l’amour avec lequel elles parlent de la marionnette qui perce l’écran. À voir pour la solide dose d’inspiration!

L’autre partie du programme-double de Ciné-Casteliers, Le stop motion aux Oscars, rassemble en fait six courts-métrages provenant de France, de Corée du Sud, d’Écosse, des États-Unis, de Belgique et d’Allemagne. Ils sont tantôt touchants ou réconfortants, tantôt troublants ou déroutants. Les voir les uns à la suite des autres permet d’apprécier la diversité de techniques, de matériaux et d’ambiances. Le premier court, Coeur fondant, de Benoît Chieux, est particulièrement réussi. On y suit une adorable taupe dans sa traversée d’une forêt que l’on dit habitée par un monstre terrifiant. Avec un style proche du conte, l’histoire nous immerge très vite dans un univers cotonneux où l’entraide et le partage nous rappellent l’importance de ne pas se fier aux apparences. D’un genre complètement différent, le court Freeze Frame, de Soetkin Verstegen, mise sur un travail sonore hyper intéressant et des jeux de lumière qui façonnent un univers de glace et de transparence.

Il y a lieu de saluer la décision de Casteliers d’aller de l’avant avec sa programmation, même si elle a été malheureusement charcutée et privée du coeur de tout festival : le plaisir d’être ensemble. En déplaçant une partie de sa programmation en ligne et en continuant de donner la parole aux créateurs, comme il le fait si bien depuis 16 ans, Casteliers est tout de même parvenu à offrir de quoi sustenter artistes et amateurs de théâtre, en attendant le retour des beaux jours où nous pourrons nous réunir à nouveau pour partager notre passion pour les marionnettes.

Tagged: , , , , , ,