FIAMS 2021 : Quatre jours et 18 représentations plus tard…
« Pour ma dernière journée au FIAMS, j’ai décidé de prendre ça relax… » Non, je rigole! Pourquoi passer la semaine au festival si ce n’est pas pour en profiter pleinement? De 10h à 22h, mon vendredi a été plus que chargé, me faisant sortir d’un univers esthétique pour me plonger aussitôt dans un autre, totalement différent. Des souvenirs d’une petite réfugiée à un étrange cauchemar poilu, en passant par de longs jours en mer aux côtés d’un tigre, par les quatre saisons d’un éléphant rose et par les notes éclatées d’un piano-castelet, l’espace et le temps se sont plus d’une fois contractés au cours de cette journée.
Après quatre jours où je me suis baladée d’un lieu de représentation à l’autre, entre Chicoutimi, Saguenay, La Baie et Jonquière, j’ai la tête remplie d’histoires et de personnages, à fils, à tige, à gaine, de laine, d’ombre ou de lumière, de bois, de papier, de peluche… assez pour peupler mes rêveries jusqu’à la rentrée culturelle, à tout le moins.
J’ai vu monter sur scène des artistes aguerris, d’autres de la relève, certains portés par leur enthousiasme, d’autres nerveux d’offrir au monde une création toute neuve. Avec cette 16e biennale, une édition en présentiel toute québécoise, le FIAMS a pris le pari de miser sur une diversité d’artistes et pas moins de 14 premières mondiales, ce qui en a fait une programmation très verte, avec son lot de spectacles pas encore tout à fait mûrs pour être offerts au public, mais il s’agissait aussi d’une belle occasion pour les artistes et les compagnies de tester leurs idées. Sans pouvoir comparer aux précédentes biennales puisque c’était ma première visite, je crois que plusieurs spectacles bénéficieront de l’expérience et de la réception du public pour peaufiner leurs créations. Un public qui a d’ailleurs répondu à l’invitation en nombre, malgré les salles clairsemées, mesures sanitaires obligent. Nous avons été près de
28 000 à prendre part à l’une ou l’autre des activités sur les six jours du FIAMS 2021. Les grandes marionnettes d’Acupunk ont à elles seules attiré près de 1500 personnes.
Mais revenons sur ma quatrième et dernière journée à Saguenay, laquelle a commencé en demi teintes.
Mes racines sont des cailloux : trop d’effets de voix
La créatrice Marie-Lyne Verret, seule en scène avec le concepteur scénographique et sonore Jean-Paul Bataille, s’est d’emblée avoué très nerveuse pour cette grande première d’une oeuvre dans laquelle il est évident qu’elle a mis tout son coeur. Mes racines sont des cailloux, c’est le récit touchant de Tourmaline, une fillette de cinq ans, chassée de son pays par la guerre et qui replonge dans ses terribles souvenirs, terrassée par une fièvre mystérieuse sur son lit d’hôpital. Les jolies marionnettes créées en laine cardée par l’artiste offrent une petite bulle de réconfort et de chaleur dans un monde où la peur et les traumatismes dévastent patries, maisons et familles, mais ne réussissent jamais à détruire l’amour qu’une fillette et sa grand-mère se portent. Malheureusement, malgré tout le coeur et toute la sensibilité des artistes, le spectacle, bercé par la douce musique de Bataille, ne trouve jamais le ton juste. Les dialogues simplistes, la narration trop explicative et, surtout, la surenchère de voix cartoonesques minent notre appréciation de l’histoire. La manipulation des marionnettes manque elle-même de précision à plusieurs moments. Quant aux cailloux, magnifiques créations visuelles, leurs dialogues n’apportent rien au récit en plus de briser le rythme. C’est une production qu’on veut aimer avec tendresse, à l’image de l’affection entre Tourmaline et sa mamie, mais dont les nombreuses faiblesses mouchent rapidement nos attentes.
L’histoire de Pi : la volonté de survivre
Rendre toute la profondeur philosophique et spirituelle de L’histoire de Pi, de Yann Martel, en marionnettes et surtout en à peine une quinzaine de minutes représente un défi impossible à relever. De fait, la coproduction du Crapaud Cornu et du Collectif Pi s’attarde avant tout aux réflexions et réactions du jeune Pi face à une mort quasi certaine puis à sa découverte d’une force intérieure et d’une incroyable envie de vivre. L’adaptation signée Émilie Racine offre un récit linéaire facile à suivre par les plus jeunes et magnifiquement servi par les marionnettes conçues par Carl Vincent. Le tigre, avec sa grosse patte et sa fantastique tête surdimensionnée, fascine aussi bien les enfants que les adultes, et son impressionnante mécanique à tige lui donne une belle variété d’expressions. À ses côtés, Pi est incarnée par une marionnettiste coiffée d’une tête bleue plutôt expressionniste et qui se transforme en cours d’histoire. Le récit nous fait voguer à travers les longues et écrasantes journées en plein océan alors que Pi y affronte la soif et la faim. La mise en scène de Racine surgit parfois là où on ne l’attend pas, jouant avec l’échelle des personnages et le passage du temps pour mieux illustrer les malheurs de Pi. Le spectacle existe également en format de 30 minutes, ce qui lui permet sans doute de développer un peu plus la quête intérieure de son personnage principal.
Pantition : surprenante mécanique!
Temps froid et légère bruine n’auront pas rebuté le public rassemblé pour découvrir ce qui se cachait dans le ventre du drôle de piano à queue de Pantition. Véritable machine musicale conçue par Mylène Leboeuf-Gagné et Serge Bonin, ce castelet nouveau genre surprend par son ingéniosité. À l’intérieur du piano, un petit orchestre de marionnettes à fils n’attend que les doigts agiles de la Diva (Leboeuf-Gagné) et du Mécanicien (Bonin) pour s’animer. Chaque touche du clavier tire sur une ficelle, le pianotage déclenchant en réponse un petit concert jazz joué par les marionnettes musiciennes dans le piano. La manipulation est surprenante de précision! Le concept, aussi génial soit-il, s’essouffle toutefois rapidement passé la surprise initiale. L’introduction, avec la diva et son réparateur de piano, ne mène nulle part, et les marionnettes à fils s’agitent sans ajouter quoi que ce soit au récit. Sur la technique et l’ingéniosité, cependant, il faut saluer bien bas les artistes! L’histoire viendra.
Pomelo : voir la vie tout en rose
Un jour, un petit éléphant rose doté d’une très longue trompe et de grands yeux curieux, naît sous un pissenlit, dans un potager. C’est le printemps et Pomelo a encore tout à découvrir. Tel un enfant, il pose un regard neuf sur ce qui l’entoure alors que le passage des saisons transforme lentement son environnement.
Avec ses grands yeux (malheureusement fixes!) et sa longue trompe expressive, la marionnette pelucheuse de Pomelo, ainsi que ses version miniature ou d’ombre et de lumière, incarne toute la naïveté et la tendresse de l’enfance. On aurait envie de sauter sur scène pour lui faire des câlins. De même, la magnifique scénographie de Maxime Després et Maude Gareau (qui cosignent l’adaptation en plus de la mise en scène et de l’interprétation) donne envie d’aller flâner dans ce luxuriant jardin. Les petits spectateurs de trois ans et plus y font aussi, entre autres, la rencontre d’un escargot très zen et d’une grenouille dansante.
Créé par Les Ombres folles, d’après le livre de Ramona Badescu et Benjamin Chaud, Pomelo déborde de couleurs vives, de joie de vivre et de notes musicales entraînantes grâce à la performance en direct du contrebassiste Pierre-Alexandre Maranda. Son adorable personnage principal charme d’ailleurs dès son apparition avec son inépuisable capacité d’émerveillement devant absolument tout : les légumes qui poussent dans le potager, l’eau qui mouille la terre, les feuilles qui s’envolent, la neige qui recouvre le sol d’un tapis blanc… Après une vingtaine de minutes de oh et de ah au jardin, et malgré la beauté des tableaux créés, l’effet de nouveauté s’épuise et quelques petites voix dans la salle se demandent quand l’histoire se finit. Car c’est la principale faiblesse de ce beau spectacle : sous des dehors charmants et au-delà de l’expérience sensorielle, l’ode à la nature transmet bien peu le message que le spectacle souhaite faire aux enfants au sujet de leur capacité d’adaptation. Visuellement superbe, Pomelo s’estompe hélas vite dans nos esprits.
Éclosion marionnettique : variée dans la forme et l’esprit
La sixième cohorte du DESS en théâtre de marionnettes contemporain de l’UQAM conviait le public à la présentation de six courtes formes, aboutissement de deux ans de recherche et de création pour les quinze finissantes.
Réalisées sous la direction d’Antoine Laprise, ces six courtes histoires ont offert une variété de formes, tant en termes de conception de marionnettes que dans les styles narratifs. Deux courtes formes se sont particulièrement démarquées à ce chapitre. Vagues, de Mélanie Baillargé et Amélie Poirier, mise sur la force évocatrice des souvenirs narrés hors champ tandis que sur scène, une interprète nous transporte au milieu des flots grâce à des panneaux souples triangulaires qu’elle tord et plie pour symboliser tantôt la mer puissante tantôt l’eau réconfortante d’un bain pris dans l’évier de la cuisine familiale. La courte forme L’éternité des fleurs, de Marika Karlsson, Gabrielle Chabot et Yana K. M. vogue sur la même vague évocatrice quoique dans un registre bien différent. Elle nous entraîne dans le tourbillon d’émotions vécue par un jeune malade en fin de vie depuis son lit d’hôpital et qui s’évade par l’esprit à l’invitation d’une femme de ménage au grand coeur. La production, tendre et poétique, use habilement de quelques éléments scéniques qu’elle transforme au gré des inspirations et émotions du personnage, pour nous faire voyager très loin de l’hôpital et nous y ramener tout en douceur. Les interprètes donnent vie à leur marionnette principale, une simple tête ronde comme un oeuf enveloppée dans les grands draps de son lit. La trame se déploie sans presser le rythme inutilement et nous berce dans ce touchant voyage intérieur.
MonTheatre remercie le FIAMS pour son invitation.