Entre rires et réflexion : les « vieux » méritent de l’attention

Entre rires et réflexion : les « vieux » méritent de l’attention

Résultant d’une collaboration entre les compagnies de théâtre Porte Parole, Un et un font mille et Nous sommes ici, la pièce de théâtre documentaire Tout inclus se présente comme la version intégrale d’une production dont la première moitié fut créée à La Licorne en 2019. Divisé en huit chapitres distincts, la version du spectacle actuellement à l’affiche chez Duceppe propose quatre premiers chapitres où le comédien et auteur François Grisé, en se personnifiant lui-même, raconte son immersion volontaire d’un mois au sein de la résidence privée pour ainés Les Jardins du Patrimoine de Val-d’Or. S’en suivent, alors, quatre derniers chapitres dans lesquels l’artiste multidisciplinaire s’ouvre sur les réflexions qu’a engendrée son expérience qui l’ont mené à la concrétisation d’une création d’une durée approximative de 3h30 incluant un entracte.

Alliant métaphores poétiques et anecdotes d’une banalité comique, le texte de Grisé donne à voir une pièce à la fois drôle et touchante, teintée d’une intention claire de faire réfléchir au pouvoir qu’à la société d’agir maintenant pour assurer les personnes âgées d’une fin de vie dans la dignité à la hauteur de leurs désirs. Dès les premières répliques, les spectateurs sont inclus dans le spectacle alors que l’ensemble de la distribution « brise le quatrième mur » et se présente directement, énonçant leur véritable identité et leur âge sous les lumières de la salle. S’échangeant l’attention du public, ils relatent, à tour de rôle, quelques statistiques et prévisions démographiques en rapport au vieillissement de la population. Puis, c’est avec une certaine émotion dans la voix que Grisé termine cette introduction en nommant toutes les personnes âgées ayant contribué à nourrir son inspiration de créateur. Après une brève interruption comique de la part de la sympathique et attachante Marie-Ginette Guay, le coup d’envoi d’une pièce remplie d’humanité est officiellement donné.

Principalement constitué de panneaux amovibles d’une même couleur unie, le décor plutôt sobre et assez épuré imaginé par Odile Gamache permet d’apprécier ce choix conceptuel comme une façon de représenter la monotonie de la vie dans un monde en constant remaniement. Malgré l’intéressante dynamique qu’apporte le déplacement des panneaux, tel un réaménagement d’intérieur de maison, ils ne font que varier la configuration de l’espace donnant l’impression de changement tout en conservant cet aspect familier qui n’étonne personne, mais convient à tous. À cette image forte se joignent les vidéos de Francis Laporte qui, tout en rendant le décor plus vivant dans l’instant présent, amènent à ressentir de la nostalgie des jours passés. Cet adage de technologie moderne et de souvenirs archivés habite suffisamment l’espace pour permettre à Alexandre Fecteau de proposer une mise en scène des plus simple qui favorise la pleine appréciation du jeu offert par le quatuor d’interprètes.

Si Grisé s’incarne lui-même et agit tel un complice avec le public en lui partageant ses états d’âme et ses impressions, ses partenaires de jeu font preuve d’une polyvalence qui amuse autant qu’elle émeut. À trois, Marie Cantin, Jean-François Gaudet et Marie-Ginette Guay se divisent les autres rôles qui gravitent autour de celui de François. Chacun livre une performance qui témoigne de leur expérience du métier. Sans jamais changer de costumes, ce trio parvient, tour à tour, à surprendre en métamorphosant momentanément leur voix et leur énergie pour donner à voir un portrait varié, mais juste, de la société québécoise actuelle. Devant une interprétation si authentique et des propositions de personnages si diversifiées, il semble pratiquement impossible de ne pas songer à des personnes de son entourage. Cela ajoute une légèreté agréable durant des moments plus dramatiques pendant lesquels la trame sonore d’Alexander Macsween et d’Annie Préfontaine ainsi que l’éclairage d’André Rioux semblent aller de pair pour accentuer graduellement l’émotion ressentie.

Teintée par les événements tragiques survenus dans plusieurs résidences pour aînés durant la première vague de propagation du coronavirus, la conclusion du spectacle n’est pas des plus heureuse, mais laisse le spectateur sur une note d’espoir qui invite à l’engagement collectif pour améliorer la situation des aînés de demain. Si les quatre premiers chapitres semblent demeurer les plus pertinents, l’ajout des derniers chapitres impose une prise de conscience essentielle pour que s’enclenche un processus de réflexion au-delà de la représentation. Traitant principalement de la vieillesse, un sujet dont il n’est pas toujours possible d’aborder dans la légèreté, cette pièce est d’une longueur qui peut nuire à l’appréciation générale des spectateurs venus se divertir. Néanmoins, Tout inclus reste une formidable collaboration entre artistes qui, par le talent, font rire et, par l’émotion, inspire à la réflexion.

Chez Duceppe jusqu’au 6 novembre 2021

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