Faire crier les murs : L’art thérapie

Faire crier les murs : L’art thérapie

Jade, 13 ans, a le don de voir à travers les murs (à ce qu’elle dit), ce qui ne l’empêche nullement d’en ériger plusieurs autour d’elle : entre elle et sa mère, vedette de comédie musicale trop peu présente, entre elle et Tom, qui voudrait tant être son ami… Entre Jade et le monde se dresse une véritable muraille de protection.

Banksy, figure mythique de l’art de rue connu pour ses coups d’éclat et, ironiquement, reconnu à travers le monde… pour son anonymat, est partout dans Faire crier les murs, sans être jamais montré, ni ses oeuvres. Celles-ci prennent plutôt vie par le regard de Jade et de Tom, et par les personnages célèbres de Banksy qui prennent corps sur scène, voire qui prennent carrément le micro (magnifique chanson du rat). Qui est Banksy? Que dénonce-t-il par son art? Et comment se fait-il qu’il parle autant à la jeune Jade, qui se reconnaît dans ses rats, ses petites filles au ballon rouge et ses scaphandriers?

« Cachée derrière l’idée de faire une pièce sur Banksy, Jade était là, à attendre que je la découvre », nous confie l’autrice dans le programme du spectacle. Jade, lumineuse, excentrique, unique, mais qui hurle aussi par en dedans. C’est à elle que le public attache ses pas, à la recherche de la pièce manquante du puzzle pour savoir qui est vraiment cette fille qui grandit, capable de percer les secrets derrière les murs des autres, mais qui se cache derrière les siens.

La nouvelle production musicale du Théâtre Le Clou, par la même équipe qui avait signé le très réussi Je suis William, offre un beau récit de résilience et de quête identitaire, qui mériterait toutefois d’être resserré. Car en plus du quatuor formé par Jade, sa mère, Tom et la présence figurative de Banksy, la pièce de Rébecca Déraspe suit aussi Angela, au pied du mur séparant Israël et la Palestine, qui croit reconnaître son fils disparu dans une oeuvre de l’artiste. L’apport de cette seconde trame narrative aurait pu ajouter aux propos, mais ne convainc pas. Elle gruge plutôt du temps au développement du personnage de Jade, dont la quête est mieux définie. Les inquiétudes d’Angela et sa recherche pour retrouver son fils disparu sont, au final, bien peu explorées et surchargent la pièce.

L’autrice-compositrice-interprète Inès Talbi brille dans le rôle de Jade, lui donnant une énergie débordante pleine de bravades qui ne dissimulent pas complètement les peurs et les blessures à vif. Talbi forme avec Gabriel Favreau (le meilleur ami Tom, souvent déboussolé par Jade) un tandem attendrissant et attachant qu’on prend plaisir à voir évoluer. Geneviève Alarie complète bien le trio en incarnant les deux rôles de mère. Tous trois chantent tout au long de ce spectacle musical, où les chansons entraînantes, parfois proches du slam, s’enchaînent tout naturellement pour permettre aux personnages d’exprimer leurs préoccupations et interrogations. Même les ados peu convaincus dans les sièges voisins finissent par se laisser aller à taper du pied.

À la mise en scène, Sylvain Scott utilise tous les outils à disposition pour faciliter les changements de lieux (de Montréal à Londres, en passant par New York, Bethléem et Bristol), de scènes et de tons. Ainsi un comptoir devient lit, banc ou scanner d’aéroport en un rien de temps. Une batterie occupe la place centrale sur la scène, où la présence d’une musicienne (Laurie Torres) donne encore plus de résonance aux chansons. La musique de Benoit Landry et Chloé Lacasse, aux accents parfois pop, rap, bowienne ou plus proches de la ballade, forme une trame narrative à elle seule dans la quête de Jade. Seul ennui, le volume sonore de certaines pièces, surtout en début de représentation, enterre malheureusement les paroles, c’est bien dommage de perdre ainsi le texte de Déraspe, très imagé et poétique, et comme toujours rempli d’humour.

Faire crier les murs n’est pas seulement l’histoire d’une fille à la recherche d’elle-même ou d’une mère en quête de réponses, la production montre comment l’art peut libérer la parole et aider sur le chemin de la guérison. L’art de Banksy n’y est pas tant un acte de défiance ou de rébellion, mais une main tendue vers l’autre, une porte percée dans un mur de séparation. Faire crier les murs pour qu’ils cessent de faire taire les gens dans leur solitude.

Crédit photo Jean-Charles Labarre


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Calendrier

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Du 23 mars au 3 avril 2022

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