FTA 2022 : Elenit – (Em)portés par le vent
FTA 2022 : Elenit – (Em)portés par le vent
Un vent de fantaisie burlesque – et un vent plutôt fou! – souffle en ce moment sur la grande scène du Théâtre Jean-Duceppe avec le retour en ville du créateur grec Euripides Laskaridis. Après avoir été invité par le FTA à présenter son duo Titans (en 2018), Laskaridis débarque avec Elenit et sa clique bigarrée de 10 personnages iconoclastes.
Au pied d’une énorme éolienne, dont la vitesse de rotation semble dicter le niveau d’énergie et de folie de la faune qui grouille à sa base, les étranges créatures qui peuplent ce monde aux allures de pays des non-merveilles vaquent à leurs occupations… quelles qu’elles soient. Ils dansent, ils chantent, ils se battent, mangent, tombent endormis…
Nous sommes accueillis par la maîtresse des lieux à la langue bien pendue, occupée à nous faire la lecture, bien qu’on ne comprenne pas un mot de ce qu’elle dit. En effet, tous les personnages parlent un langage fait d’inflexions et d’exclamations qui lui donnent les apparences et les accents d’une langue réelle, mais dont le sens nous échappe continuellement. Juchée sur des souliers plateformes démesurés, à l’instar de tout dans ce spectacle qui exagère le moindre détail, la diva drag queen aux allures burlesques est le pôle d’attraction autour duquel tourne ce drôle d’univers. Femme pleureuse à moustache, Dorothée narcoleptique tout droit échappée d’Oz, homme d’affaires obnubilé par ses contrats, mamie russe bien armée, dinosaure reine de bal dont les pas résonnent dans tout le théâtre… Les personnages d’Elenit ont des allures de monstres de foire sortis de l’asile. Tout chez eux tient de l’exagération : leurs actions, leurs réactions, leurs émotions, leurs traits, rien n’est dans la mesure. Pas même la musique, orchestrée en direct par Giorgos Poulios grimpé sur un échafaudage en fond de scène et qui les accompagne dans chacun de leurs mouvements.
La coproduction d’OSMOSIS et Onassis Stegi-Athens donne à voir un fascinant travail sur la matière tant visuelle que sonore, et qui concourt à faire d’Elenit un spectacle sensoriel comme on en expérimente peu en saison régulière. Sur scène, le moindre son résonne dans l’espace, amplifié à l’extrême et parfois dédoublé par le magicien à sa console, vénéré par les habitants comme un demi-dieu, du moins avant qu’il ne soit jeté en bas de son piédestal dans un tableau rappelant les toiles de la Renaissance. La scène de Duceppe devient un véritable espace en chantier où se côtoient la végétation luxuriante au pied de l’hélice, les tôles de métal ondulé (appelées elenit dans la région de Grèce dont est originaire Laskaridis), les projecteurs de toutes sortes, les fils et autres accessoires scéniques. Et plus l’heure tourne, plus le chaos s’installe.
Le concepteur et metteur en scène Euripides Laskaridis l’admet lui-même : il aime se laisser porter par ses idées et ouvrir toutes les portes à leur interprétation. On retrouve donc sur scène une accumulation de symboles et de langages scéniques, en plus d’un mélange de styles, qui vont du clownesque à la commedia dell’arte en passant même par un moment de rave. C’est dire. Les festivaliers dans la salle n’ont donc pas d’autre choix que d’accepter ce vent de folie qui leur éclate tympans et rétines à quelques occasions, pour plonger tête baissée dans le terrier du lapin.
Fasciné par la nature humaine, Laskaridis l’explore ici dans toutes ses failles, ses peurs, ses pulsions, sa violence, mais aussi ses moments d’élévation et sa fragilité. Ainsi, la diva sur ses échasses se fait peu à peu dépouiller de ses oripeaux, au point de finir comme un empereur nu, devant un palais de tôle et de ferraille, quoiqu’en demeurant en contrôle de sa propre mise en scène.
Elenit est une « bibitte » insaisissable et difficile à décrire qui fait vivre un moment de déconnexion du réel. Une fois passé ce moment, le spectacle, comme une énigme non résolue, laisse le public saturé d’images et de sons, incertain de ce à quoi il vient d’assister, dans un état d’esprit étrange qui sied, finalement, bien à la production.
Présenté du 1er au 4 juin 2022, au Théâtre Jean-Duceppe
Crédit photo Julian Mommert