Le fils : Quand l’amour ne suffit pas

Le fils : Quand l’amour ne suffit pas

Non, tout l’amour d’un père et d’une mère ne suffira pas à combler ce vide béant. Non, tous les efforts de parents aimants et (sur)attentionnés ne viendront jamais à bout des blessures d’adolescent meurtri et trahi. Quand, d’un côté, le père confiant affirme que tout va bien et, que de l’autre, la mère épuisée crie que ça ne va pas du tout, le fils, lui, déchiré de partout, continue de sombrer, incapable de savoir à quoi sert la vie. Voilà la proposition de la pièce Le Fils, œuvre touchante et intelligente du dramaturge français Florian Zeller.

Dans un décor modeste et gris – banal comme la petite vie ordinaire – une famille recomposée (le père, la belle-mère et la mère, respectivement Vincent-Guillaume Otis, Stéphanie Arav et Sylvie De Morais-Nogueira) tente par tous les moyens de ramener leur fils Nicolas (Émile Ouellette) à la surface. On se mobilise jusqu’à s’oublier, on cherche mille solutions pour sauver l’adolescent en perdition, pour le soulager, pour éviter le pire. Dans cette maison de la reconstruction, quand de rares petites bulles de complicité éclatent – créant de jolis moments – d’autres, plus grosses, explosent illico naturellement, dans le désordre des choses, éclaboussant brutalement le clan tout entier. Les secousses sont nombreuses ; les violences aussi. Au sujet de son bras lacéré au couteau (blessures auto-infligées), Nicolas dira : « Je ne me fais pas mal. C’est le contraire. Ça me soulage. » La dépression est grave. Les préjudices, irréparables. Non, papa-qui-fait-l’autruche, Nicolas ne va pas bien. Pas bien du tout! Ta désertion a causé de graves séquelles. Ses seules pulsions sont suicidaires. Son réel est déconnecté. Tous les pores de sa peau hurlent « Sortez-moi de moi! » Comptes-tu l’abandonner… encore?

Sobre et juste, Vincent-Guillaume Otis – absent des planches depuis plus de six ans, occupé à l’extrême par la quotidienne District 31 – sert parfaitement le personnage du père qui veut trop bien faire (combien impuissant devant le mal-être de son fils) et qui ne parvient pas à supplanter ses propres fragilités et (pire) sa culpabilité.  Ce « bon père » ayant lui-même souffert d’un père absent, est obsédé par l’idée de lui ressembler et veut à tout prix démontrer le contraire… au point parfois de poursuivre ce seul but au détriment des conséquences sur son fils. Est-il le mieux placé pour aider son enfant? A-t-il, lui-même, été délivré du Mal?

Fraîchement diplômé de l’École nationale de théâtre, Émile Ouellette offre une prestation solide et charismatique dans la peau du fils abîmé. Richement chargés, les autres personnages de la distribution – mère, belle-mère, médecin et infirmier – servent avec aplomb la trame de ce drame bouleversant.

Directe et sans artifices, la mise en scène de René Richard Cyr installe graduellement à l’aide d’extraits musicaux (passant de l’allègre au lugubre) ou de fonds scéniques (passant du pâle au sombre) une noirceur qui entraîne les personnages dans des abysses. Par petites doses – une phrase anodine, un geste ambigu, une remarque acerbe – ce huis clos devient de plus en plus oppressant, révélant avec exactitude les atmosphères familiales les plus funestes et des vérités qui dérangent.

Si le dénouement est évidemment complètement attendu, on tombe quand même dans le piège à la toute fin, accrochés à une minuscule lueur d’espoir. L’arrière-plan affiche à nouveau ses tons gris clair, les cieux semblent plus cléments, aucune tempête ne gronde, le père et le fils sont réunis, l’un fier, l’autre épanoui, guéri et surtout heureux de la publication de son premier roman (dédicacé à son père, bien entendu) intitulé : « La mort attendra ». On y croit. Et comme son papa, on imagine aussi « tout ce qu’il aurait pu faire », « tout ce qu’il aurait dû faire ». Et on se désole devant le fiasco (pourtant prévisible) et l’incommensurable peine du père qu’aucune parole rassurante ne parviendra à consoler. Triste! Non, l’amour ne suffit pas.

Au Théâtre du Rideau Vert du 27 septembre au 29 octobre 2022

Crédit photo Théâtre du Rideau Vert

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