Une journée : Piégés par l’ordinaire

Une journée : Piégés par l’ordinaire

Qui ne s’est pas déjà senti prisonnier d’une routine dans laquelle il s’est enferré? Et qui n’a pas un jour ou l’autre rêvé de s’en échapper? Les quatre personnages de la pièce Une journée, qui prend l’affiche au Théâtre de Quat’sous ce mois-ci, se débattent avec cette banalité.

L’énergique Alfonso (Renaud Lacelle-Bourdon) cherche une échappatoire en achetant compulsivement des objets inutiles sur Internet ; la socialement maladroite Nico (Nathalie Claude) cherche désespérément la reconnaissance de ses collègues ; le constipé Harris (André-Luc Tessier) cherche à reconquérir une ancienne flamme et l’adepte du Snooze Debs (Rose-Anne Déry), elle, cherche à se soustraire à son mal de vivre. Rien ne les unit, si ce n’est qu’aucun n’est bien dans sa peau, qu’aucun ne ressent une quelconque forme d’accomplissement. Solitaires, ils auront toutefois besoin les uns des autres pour ouvrir une brèche dans leur journée ordinaire. Ils vont chacun à leur manière tenter de détourner la routine des autres pour espérer faire prendre à leur quotidien une nouvelle tangente.

Le décor de studio, moderne et confortablement meublé, fait ici office de petit aquarium dans lequel les personnages tournent en rond. Les lieux sont dominés par un écran géant sur lequel défilent des prises de vue de ce qui se déroule en direct sur scène, des textos échangés ou l’heure de la journée, donnant à l’ensemble des allures de téléréalité à la Loft Story. Les quatre cobayes y évoluent à huis clos pour retracer, presque à la minute près, chacun des gestes de leur journée, du réveil au coucher, sans épargner les moments au petit coin. Ils semblent même avoir conscience de notre oeil voyeur lorsqu’ils viennent se heurter contre ce 4e mur qui sépare la scène de la salle.

La pièce de Gabrielle Chapdelaine, mise en scène par Olivia Palacci, déborde d’un humour pince-sans-rire délicieux, servi à point par une distribution en maîtrise du ton et du rythme du texte, en particulier Nathalie Claude, une habituée du genre. Le texte, récompensé en 2018 du prix Gratien-Gélinas (remis au meilleur texte francophone du Canada), fait bondir les répliques avec agilité d’un personnage à l’autre dans une partition qui ne connaît aucun moment de relâchement, comme si les phrases des uns n’étaient que le prolongement des réflexions de l’autre. Les dialogues, livrés à la deuxième personne du singulier, dictent les actions des quatre individus et donnent une note légèrement inconfortable à la situation : sont-ils maîtres de leurs actes ou se les font-ils imposer par la narration d’autrui? Ces dialogues étrangement déconnectés nous font sentir tout le poids d’une existence aliénante dans laquelle il est impossible de ne pas reconnaître ses propres moments de lassitude ou de crise existentielle.

Cependant, la coproduction du Théâtre À tour de rôle et de la compagnie Tableau noir se prend, hélas, au piège de la vacuité qu’elle met en scène et la force de la distribution ne suffit pas pour nous faire vivre un moment d’élévation. Pendant toute la représentation, on court après une émotion ou une révélation qui continuent de nous échapper après l’extinction des projecteurs, nous laissant dans une impression de flottement et d’inachevé.

Une journée, au Quat’Sous jusqu’au 5 novembre 2022

Crédit photo Emmanuelle Bois

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