Gaz Bar Blues : Une grande vague d’amour

Gaz Bar Blues : Une grande vague d’amour

Vingt ans après sa sortie au cinéma, le Gaz Bar Blues de Louis Bélanger renaît sur les planches de Duceppe. Et 20 ans après avoir été portée par la formidable interprétation de Serge Thériault, cette histoire d’un père de famille propriétaire d’une station-service dans le Limoilou de 1989 va toujours droit au cœur.

Revisiter une œuvre qui a tant marqué les esprits est toujours un peu casse-gueule, mais l’équipe de création, avec David Laurin à l’adaptation et Édith Patenaude à la mise en scène, propose une œuvre nouvelle qui ne souffre aucunement de la comparaison. L’équipe n’en mérite que davantage les chaleureux applaudissements qu’elle reçoit soir après soir.

Le gaz bar du titre est celui de François Brochu, dit « Le Boss », presque 60 ans et atteint de Parkinson, qui tente de maintenir à flot son commerce dans une décennie en pleine transformation. Alors que la station-service paraît figée dans le temps, dans une autre partie du monde, un mur s’effondre, et au sein même de la famille Brochu, la nouvelle génération cherche sa part de bonheur. La force du récit de Gaz Bar Blues tient dans les relations à la fois tendres et conflictuelles entre M. Brochu et ses enfants, et par ricochet à la force de sa distribution.

En Martin Drainville, la metteuse en scène Édith Patenaude a trouvé l’acteur idéal pour être le cœur battant de cet hommage tranquille à la paternité. L’interprétation de Drainville, tout en retenue, tient du travail d’orfèvre. Sous les mots rares, mais qui sonnent chaque fois juste, la vulnérabilité, l’amour, l’inquiétude persistante, le désarroi face aux changements qui s’opèrent autour de lui et sur lesquels il n’a aucun contrôle, le François Brochu qu’incarne Drainville se lit comme un livre ouvert tout en suscitant chez nous un irrépressible élan de tendresse.

L’enseigne lumineuse du gaz bar brille comme un phare dans la nuit sur la scène de Duceppe, alors que la station elle-même en occupe la portion centrale. Elle pivote sur elle-même, mais c’est toute la faune du quartier et la vie des Brochu qui tournent autour d’elle.

Déjà pleine de la langueur qui se dégage de ce coin de rue de Limoilou, soulignée par les notes de l’harmonica de Guy (Steven Lee Potvin), le fils artiste des Brochu, la coproduction de Duceppe et de La Bordée s’étire par moments, sans qu’on lui en tienne vraiment rigueur. Les multiples pivotements de la station-service pour nous faire visiter l’arrière-boutique semblent peu utiles, mais le rythme et l’effet de groupe de la pièce aux allures de spectacle musical font passer rapidement les deux heures de la représentation.

Gaz Bar Blues, crédit Danny Taillon

La trame originale composée par Mathieu Désy forme en effet une véritable partition pour cette production. Sous la direction du compositeur, tous les membres de la distribution, à l’exception de Drainville, se transforment en band blues, devenant musiciens sitôt que leurs personnages quittent les lieux. La proposition surprend d’abord, mais la musique fait rapidement taper du pied en cadence. Les airs de blues et de jazz, eux-mêmes issus d’une autre époque, font écho à la tristesse de voir le gaz bar, petit commerce de quartier, et le cocon familial des Brochu, lentement disparaître.

Malgré les années qui passent, Gaz Bar Blues réussit encore à faire renaître un coin de rue, une époque. C’est une fenêtre ouverte sur une masculinité parfois maladroite, mais débordante d’amour, un hommage aux gens et à la vie ordinaire, celle qui ne crée pas de grandes vagues de changement, mais qui, en même temps, déclenche une immense vague d’affection pour ces pères qui se sacrifient par amour pour leurs enfants. Une très belle production émouvante et qui réchauffe les cœurs.

Gaz Bar Blues, présenté chez Duceppe du 18 janvier au 19 février 2023
À La Bordée du 28 février au 25 mars 2023

Crédit photo Danny Taillon

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