Le garçon de la dernière rangée : une intrigante sensation de catastrophe imminente

Le garçon de la dernière rangée : une intrigante sensation de catastrophe imminente

Le garçon de la dernière rangée relate les élucubrations d’un étudiant sournois et ténébreux, Claude (Vincent Paquette), qui s’immisce dans la demeure d’un camarade de classe, Raph (Samuel Bouchard), pour satisfaire sa curiosité maladive. En transposant par écrit son expérience intrusive, il avive un besoin malsain chez son professeur de littérature (Hugues Frenette) qui, à l’instar des spectateurs, se transforme en voyeur par personne interposée. Le talent de Claude pour les lettres se démarque des compositions insipides des autres étudiants, ce qui pousse l’enseignant blasé à provoquer, par le biais de critiques acerbes, les desseins déviants de son élève.

Ce qui surprend en pénétrant dans la salle du Théâtre Périscope, c’est de constater que le gril scénique – c’est-à-dire l’armature mécanique servant à accrocher les projecteurs – est abaissé à environ un mètre du plancher. La maquette d’une petite maison blanche, isolée dans un coin et subtilement éclairée, est érigée au-dessus du grill. Il faut y porter attention pour la voir. Cette entrée en matière prépare le public à plonger dans l’intimité d’une famille, apparemment ordinaire, mais également à assister à la dissection des relations qui se construisent entre les protagonistes. C’est comme si on retournait le tissu social pour en révéler les coutures.

L’histoire se déroule dans le décor minimaliste d’une galerie d’art contemporain qui se déploie sous les yeux du public au moment où le gril est hissé, dévoilant un aménagement de câbles encadrant un rectangle blanc qui symbolise la fameuse feuille de papier vierge. Cet espace, qui porte le nom de Labyrinthe du Minotaure, établit un pont entre le texte de l’auteur espagnol Juan Mayorga et le mythe grec. La recherche du Minotaure, cette créature mi-homme mi-taureau, est une épreuve initiatique qui vise à débusquer la bête tapie en chacun de nous.

Un monstre émergera-t-il de Claude, de Germain, son professeur, ou de Jeanne (Lorraine Côté), épouse de Germain et galeriste ? Malgré ses mises en garde contre les inclinations suspectes de l’étudiant envers son camarade et ses parents, Jeanne se laisse entraîner par la prose de Claude et l’indiscrétion insatiable de son mari. Elle s’imprègne graduellement de l’univers narratif du jeune auteur pour parvenir à construire, avec les artéfacts de la petite famille scrutée à la loupe, une nouvelle exposition pour son lieu menacé de fermeture.

L’espace de jeu se transforme au gré des scènes et représente, entre autres, la demeure des parents de Raph, là où Claude sévit entre l’ombre et la lumière. Là où il épie ses proies et les appâte. Là où il brosse le quotidien de ses victimes, amplifie leurs défauts, interprète et réinterprète leurs paroles. Là où, fasciné par les reproductions de quatre aquarelles du peintre allemand Paul Klee qui ornent le passage, il se cache pour observer et trouver les points faibles d’Esther (Marie-Hélène Gendreau) et de Raph père (Charles-Étienne Beaulne).

Crédit photo Émilie Dumais

La scénographie de Marie-Renée Bourget Harvey ainsi que les costumes de Sébastien Dionne et les éclairages de Denis Guérette flirtent avec les mêmes teintes chaudes et froides tout à la fois. Le blanc domine, mais il oblique vers le beige et le gris et est enrichi de textures naturelles. Ces éléments, qui forment un tout homogène, tendent paradoxalement à unifier les personnages, alors que leurs motivations par ailleurs les opposent. Les accessoires sont choisis avec parcimonie et contribuent à accentuer les traits de caractère de chacun, notamment ceux d’Esther et de Raph père.

La mise en scène conjointe de Marie-Josée Bastien et Christian Garon joue avec la frontière entre la réalité et la fiction, le vrai et le faux. Elle sème l’ambiguïté sur le rôle des protagonistes dans l’équation de leurs interactions. Elle laisse planer une intrigante sensation de catastrophe imminente. Elle sonde également, à l’instar du texte de Mayorga, la place de l’art et de la littérature dans l’évolution de la vie et de la société. Les comédiens sont tous bien campés dans leur personnage, l’interprétation est fluide, les dialogues sont fins et habiles. On se demande qui finira par prendre le dessus, tant les influences machiavéliques des uns et des autres se superposent. Quelles sont les véritables intentions de Claude ? Qui sortira vainqueur du conflit qui oppose les protagonistes dans cette guerre de manipulation ? Le suspense est constant jusqu’à la fin de la pièce et les questionnements que suscite le récit continuent à vivre au-delà de la représentation.

Le garçon de la dernière rangée, au Théâtre Périscope du 14 février au 4 mars 2023

Crédit photo Émilie Dumais

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