D.écimées : retrouver ses origines
D.écimées : retrouver ses origines
Alors que le scandale des pensionnats autochtones fait couler de l’encre. Que la mémoire des orphelins de Duplessis demeure vive. Que les pressions sur le gouvernement s’intensifient afin d’autoriser un plus grand accès aux informations pour les parents biologiques et les enfants adoptés ou non adoptés qui ont été séparés à la naissance. Que les impacts des dissociations précoces mère/poupon sont de mieux en mieux étayés, la pièce, D.écimées, présentée au Théâtre Périscope par la compagnie Les Gorgones en coproduction avec Carte blanche, est en phase avec son époque.
Empruntant la voie du théâtre documentaire, cette œuvre, écrite et mise en scène par Marie-Ève Chabot Lortie, retrace le parcours d’une femme, Lise (Agnès Zacharie), et de sa fille, Marie-Anne (Myriam Lenfesty), qui entreprennent des démarches pour retrouver leurs origines. Aux funérailles de Rose, Lise rend hommage à sa mère adoptive en la remerciant d’être autrefois venue la chercher à la crèche. Sous le choc, Marie-Anne est médusée de découvrir que la défunte n’était pas sa grand-mère biologique. Elle devient alors obsédée par le désir de connaître la vérité et de recouvrer ses racines.
Bombardée de questions par sa fille, Lise finit par lui révéler avoir jadis fait des démarches pour entrer en contact avec sa mère biologique. Ces démarches se sont cependant avérées infructueuses, cette dernière ayant décliné sa proposition de rencontre. Marie-Anne apprend également de son père (Éric Leblanc) que, mortifiée par cette réponse, Lise aurait par la suite sombré dans une profonde dépression. Malgré le refus de sa mère, au départ, de pousser plus avant les investigations et les avertissements de son père qui souhaite protéger sa femme contre une rechute, Marie-Anne poursuit ses recherches.
Des témoignages, vidéos d’archives, entrevues et conférences en lien avec le Mouvement Retrouvailles ponctuent le déroulement de la pièce et permettent à l’autrice et metteure en scène de contextualiser la quête des protagonistes, tout en partageant des données factuelles, notamment sur les lois et règlements du Québec en matière d’adoption et de communication de renseignements personnels. Certains fils narratifs qui tissent cette intrigue sont peu développés et alourdissent le récit. Ainsi en est-il du cancer du sein de Lise qui devient le moteur de son revirement de décision ; de son talent pour la peinture qui semble n’exister qu’à titre de prétexte pour créer un pont entre la profession artistique de sa fille chorégraphe et la passion de sa grand-mère biologique pour la danse, et des personnages qui meublent la finale et dont on ne sait presque rien, mis à part qu’ils font partie de la nouvelle famille de Lise.
Cependant, un beau moment de la pièce est celui où, pendant une répétition, Marie-Anne et l’esprit encore jeune de sa grand-mère biologique (Catherine Dagenais-Savard) bougent en harmonie, intégrant un rituel de purification à leur gestuelle. Les racines maternelles de Lise et Marie-Anne sont malécites. Cette origine autochtone imprègne le décor (Dominique Giguère) où le bois à son état presque naturel est le matériau de prédilection pour le mobilier. Une grande étoffe en trompe-l’œil de ce qui semble être de l’écorce de bouleau fait office d’écran à l’arrière-scène, tandis que l’espace dévolu à l’âme des ancêtres de Lise qui s’incarnent dans le corps de sa mère biologique est en partie recouvert d’un rideau de brindilles. Même le costume que Marie-Anne a commandé pour son spectacle de danse est fabriqué de branchages.
La musique (Mathieu Turcotte) possède des sonorités qui rappellent les rythmes des Premières Nations. Elle se manifeste tel un cœur battant qui parfois s’emballe et parfois se calme. À l’instar de la lumière, elle évoque discrétion et fragilité dans les moments plus intimes. L’interprétation est quant à elle homogène, bien que pas toujours convaincante. L’impression est que l’ensemble manque de profondeur, comme si l’aspect documentaire créait une distance qui filtre les émotions. Mais peut-être cette distance veut-elle incarner une conséquence de la séparation originelle.
Le titre de la pièce, D.écimées, signifie exterminées, étêtées. Quand on arrache des enfants à leur mère, par la force des conventions sociales, on ampute l’âme et le cœur de ces deux êtres qui doivent par la suite s’accommoder du vide que cela génère. C’est ainsi qu’un arbre robuste et fourni perd son feuillage et ses racines.
D.écimées, à l’affiche du Théâtre Périscope du 14 mars au 1er avril 2023
Crédit photo Stéphane Bourgeois