Abraham Lincoln va au théâtre : Une mise en abyme des plus divertissantes

Abraham Lincoln va au théâtre : Une mise en abyme des plus divertissantes

Présentée au Théâtre du Nouveau Monde dans une mise en scène de Catherine Vidal, la pièce Abraham Lincoln va au théâtre de Larry Tremblay réunit Luc Bourgeois, Mani Soleymanlou, Bruno Marcil et Didier Lucien pour un moment de théâtre des plus déjantés. Usant de leur talent pour la comédie, les quatre comédiens enchaînent les procédés comiques. Ensemble, incarnant eux-mêmes des comédiens en situation de jeu, ils livrent un spectacle où fiction et réalité s’entremêlent, laissant le public démêler les fils du récit pour en faire sa propre lecture.

Prenant place dans un décor brillamment imaginé par Geneviève Lizotte et délimitant une scène presque vide avec des murs de miroirs qui permettent la réflexion du public à même l’espace de jeu, le spectacle commence avant même la fin du mot de présentation. Luc Bourgeois et Mani Soleymanlou, arborant une tenue à la Laurel et Hardy, arrivent à temps pour indiquer les sorties de secours brisant définitivement le quatrième mur. À voir leur allure et leur gestuelle assez ample qui leur permettent de décrocher des rires, il est déjà clair que l’humour sera au rendez-vous. Les deux comédiens se présentent respectivement comme étant Christian Larochelle et Léonard Brisebois, comédiens approchés par le réputé metteur en scène Marc Killman (Bruno Marcil) pour jouer l’assassinat du président Abraham Lincoln au théâtre en personnifiant les personnages Laurel et Hardy.  Avec cette simple introduction, il est possible de constater que le récit proposé par Larry Tremblay ne sera pas sans ambiguïté. Cela dit, il importe de féliciter Catherine Vidal pour avoir réussi à adapter le texte de sorte à permettre à l’auditoire de s’accrocher à un fil conducteur narratif. Grâce à l’aisance avec laquelle Bourgeois et Soleymanlou parviennent à proposer divers personnages facilement distinguables les uns des autres sans changer de costumes, les spectateurs ont de quoi différencier Christian de Laurel et Léonard de Hardy en plus d’assister à une solide performance de jeu de deux comédiens complices. 

Lorsque Bruno Marcil arrive en Marc Killman, arborant le style vestimentaire de Lincoln, il présente une amusante caricature d’un metteur en scène au comportement assez excentrique. Le public découvre, alors, un personnage d’une intensité comique auquel il est impossible de ne pas s’attacher. Jusqu’à sa sortie définitive de scène, suite au décès très théâtral de Killman, Marcil s’attire plusieurs rires généraux de l’audience alors qu’il assume totalement son plaisir d’incarner un personnage aussi démesuré. Quant à Didier Lucien, celui-ci se fait un peu attendre alors qu’il entre à l’extérieur de l’espace de jeu, sans s’annoncer, interrompant le spectacle en s’adressant directement au public. Habillé en vêtements d’extérieur sans fla-fla, son personnage s’annonce, sur le coup, plus sobre que celui de ses camarades. Interprétant le comédien Sébastien Johnson engagé par Christian et Léonard pour remplacer Killman dans son rôle de statue de cire d’Abraham Lincoln, Lucien excelle à offrir un personnage qui, comparativement aux autres, se révèle petit à petit. Offrant une interprétation des plus réalistes au début, il provoque la surprise quand il se laisse aller à une intensité semblable à celle de Killman vers la fin de la représentation. 

Il faut souligner que les costumes de Julie Charland servent magnifiquement bien le principe de mise en abyme de la pièce alors qu’ils appuient de façon subtile, mais efficace, le jeu des comédiens qui se donnent corps et voix pour incarner des comédiens qui jouent des personnages. Comme Bourgeois et Soleymanlou sont vêtus de la même manière du début à la fin, il incombe surtout à ceux-ci d’aider le public à comprendre qui ils incarnent à quel moment. Il convient de dire que les éclairages variés, mais assez conventionnels d’Étienne Boucher ont également permis une meilleure distinction entre fiction et représentation de la réalité. L’ajout des projections vidéo de Thomas Payette (Mirari Studio) tout autant humoristiques que pertinentes pour la mise en contexte, a donné à Vidal de quoi garder son auditoire désireux de déchiffrer le récit de Tremblay, malgré sa complexité pouvant alourdir certains passages du spectacle. Cette sobriété de la part de l’équipe de conception donne l’occasion de surprendre totalement le public à la dernière scène avec une fin à l’aspect aussi inusité que flamboyant.

Cette adaptation de la pièce Abraham Lincoln va au théâtre par Catherine Vidal se présente certainement comme un hommage au théâtre, l’art de la tromperie. Les comédiens, qui s’épivardent à travers l’art de faire croire, offrent chacun une belle performance comique. Le texte de Larry Tremblay peut évidemment s’apprécier sans nécessairement en comprendre tout le sens. Cette production a vraiment tout pour plaire à tout amateur de théâtre, mais il est clair que celui qui aime un spectacle aux multiples analyses possibles est particulièrement bien servi. 

Abraham Lincoln va au théâtre, présenté au Théâtre du Nouveau Monde du 14 mars au 8 avril 2023

Crédit photo Yves Renaud

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