Couper ou la psychose d’une hôtesse de l’air

Couper ou la psychose d’une hôtesse de l’air

Prière de laisser vos manteaux à la réception, de lire attentivement les consignes (votre sécurité en dépend, on vous aura prévenus) et de vous diriger vers la salle – ou plutôt à bord du petit avion – carte d’embarquement en main. All aboard! Dernier appel pour le vol Couper PROSP2023 à destination de l’Intérieur. Conditions instables. Fortes turbulences prévues. Le ton de ce voyage lynchien de 55 minutes est donné.

Dans la salle habilement convertie en avion de 40 places, le spectateur-passager patiente, attend le décollage. Cette configuration exiguë produit son effet dès les premières secondes du spectacle solo Couper.

Noir intégral. Silence. Lourd silence. Puis faible lueur révélant – à peine – une femme à la voix douce qui entame un flux de conscience. Elle enfile un masque, un quelconque visage, s’ouvre, se ferme, prend le dessus, perd pied, s’allume, s’éteint, s’endort, se réveille, se terre, s’enterre, chuchote et crie son drame. Pendant l’heure qui suit, nous la retrouverons encore et encore, émergeant d’éclats de noirs et de torrents de sons. Non seulement ces fragments nous plongent-ils dans ses pensées et tempêtes intérieures, mais ils donnent souffle et rythme à Couper, en font battre le cœur. Ils sont indissociables et nous font vivre ses moindres états : angoisse, peur, humiliation, méfiance, colère, rage ou mal-être. Livrées en saccades, les histoires – anecdotiques ou cauchemardesques – de l’hypersensible à cran (aux frontières de la folie) captivent et troublent.

Le jeu de Véronique Pascal – qui signe également la traduction et l’adaptation de la pièce de l’auteur Duncan J. Graham – est hautement efficace. Son personnage d’agente de bord bascule d’un univers à l’autre à la vitesse des moteurs de son petit porteur… univers contraires et conflictuels surchargés d’humeurs-couleurs et de sons. Noir, bleu, rouge, blanc se succèdent, se croisent, se chassent. Noir silencieux des ténèbres. Bleu glacial de la peur. Rouge onirique des songes doux et vaseux. Blanc lucide ramenant à la réalité. Noyés dans ce brouhaha évanescent, témoins des moindres secousses de cette femme chassée et traquée, on n’arrive plus à discerner le rêve du réel. La ligne entre les deux est fine et précaire. Elle-même y arrive-t-elle? Qui est-elle? Où est-elle? Que fuit-elle? Qui fuit-elle? Où atterrira-t-elle? Dans ce jeu sombre d’observateur et d’observé, de traqueur et de traqué, de chasseur et de chassé, on est tantôt oppressé, puis inquiet, puis intrigué, puis réveillé, puis engourdi, puis aux aguets, puis distrait, puis étourdi, puis confus, mais jamais indifférent, car Couper réussit brillamment à nous happer… dans un monde ou dans un autre.

À la fois installation, poème théâtral et thriller noir, l’expérience est intime et inoubliable. Décalage garanti une fois à destination. Saurez-vous vous remettre de ce maelstrom?

Couper, présenté à la salle intime du Théâtre Prospero du 14 mars au 1er avril 2023

Crédit photos Fanny Migneault-Lecavalier

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