Châteaux du ciel : Les désirs d’un roi
Châteaux du ciel : Les désirs d’un roi
Connaissez-vous l’histoire du roi Louis II (ou Ludwig) de Bavière et de sa famille? C’est une histoire de beauté et de tragédies qui vous tiendra sûrement en haleine si vous plongez un jour dans le terrier du lapin qu’est sa page Wikipédia, mais le Théâtre Denise-Pelletier a ces jours-ci beaucoup mieux à vous proposer : Châteaux du ciel.
La mise en scène plutôt classique de Claude Poissant et surtout le décor ornementé de la grande salle du théâtre offrent un écrin doré au beau texte de Marie-Claude Verdier. L’autrice, à qui l’on doit aussi l’étonnant Seeker, récit de science-fiction présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en 2021, surprend à nouveau. Cette fois, nulle trace d’anticipation ou de visions futuristes, Châteaux du ciel nous plonge au contraire dans la deuxième moitié du 19e siècle pour mieux remettre en question notre rapport à la beauté et les responsabilités qui viennent avec le pouvoir.
Ludwig, propulsé bien jeune à la tête de l’État à la mort de son père en 1864, a une perception très différente de ses devoirs de monarque que celle de son entourage. Fasciné par les rois d’autrefois, par le romantisme et la figure étincelante du chevalier au coeur pur, il préfère les épanchements de passion aux élans guerriers. Dans la peau de ce roi de fantaisie, Dany Boudreault incarne toute la complexité du personnage : son amour des arts, sa grande sensibilité et sa résistance aux exigences du monde moderne où la poésie semble céder sa place à la machinerie. Avec sa petite carrure, l’interprète donne à Ludwig les allures d’un enfant perdu tandis que celui-ci tourne de plus en plus le dos à ses responsabilités de chef d’État et aux tensions géopolitiques pour s’évader dans ses projets de châteaux grandioses, guidé par sa volonté d’inspirer son peuple en lui faisant découvrir le sublime, quitte à ruiner le royaume au passage. Sa quête de la beauté passe avant tout, une position intenable…
La production aborde aussi par la bande le thème de la santé mentale, avec Ludwig, bien sûr, qui dépérit dans un monde qui ne le comprend pas et dans lequel il doit réprimer une partie de ses désirs amoureux, mais aussi avec son frère cadet Otto (touchant Maxime Genois), le soldat de la famille dont l’esprit va se fracasser contre les horreurs de la guerre.
Autour du roi, toute une galerie de personnages converge, de son frère soldat à l’aide de camp qui aurait été son amant, en passant par son élusive cousine, la princesse Sissi, qu’il idolâtre, et l’orageux compositeur Richard Wagner, dont il sera le mécène pendant des années. Dans toutes leurs teintes de sollicitude, de bravade ou même de traîtrise, ces personnages mettent en lumière l’excentricité d’un roi pacifique et esthète, en décalage avec son époque. Daniel Parent est particulièrement drôle en Wagner sans verser dans la caricature, mais il ne faut pas passer sous silence le rôle important d’Annick Bergeron, en princesse Alexandra, tante du roi, qui assure brillamment les changements de scène en fournissant un contexte historique et relationnel avec une assurance fantastique dans ce qui est certainement un des plus beaux costumes de cette production.
Soulignons-le, si la mise en scène de Poissant déçoit par sa sagesse dans une scénographie faite d’angles droits, de marbre froid, de colonnes en carton, et par le choix de ton déclamatoire pour les interprètes, qu’il faut un moment pour embrasser, les costumes de Marc Senécal étincellent à tout instant. L’agencement des couleurs et des textures, tant dans les uniformes d’apparat que les robes de princesse, élèvent l’ensemble en découpant des silhouettes imposantes.
Bien que la pièce en cinq actes s’inspire de la vie d’un des derniers rois de Bavière, Châteaux du ciel raconte avant tout la vie tragique d’une âme sensible dans un monde en rapide transformation où les luttes de pouvoir et les alliances politiques font et défont les royaumes bien plus que les châteaux dans les nuages. Un drame romantique au charme certain.
Châteaux du ciel, à l’affiche du Théâtre Denise-Pelletier du 15 mars au 15 avril 2023
Crédit photo David Ospina