Les Fabuleuses : authentiquement queer
Les Fabuleuses : authentiquement queer
Premier Acte présente, jusqu’à la fin du mois d’avril, une création originale du collectif À Gorge Déployée, Les Fabuleuses, un texte de Pierre-Olivier Roussel inspiré de son expérience personnelle et celle des comédien·ne·s. Cette pièce de théâtre se déroule dans un atelier de confection de costumes, où six ami·e·s se réunissent avant d’aller prendre part à la marche des fiertés. La célébration amène les jeunes adultes à discuter des oppressions et discriminations vécues par les personnes LGBTQ+, à réfléchir aux droits acquis grâce aux luttes militantes, à ceux actuellement mis en péril et aux inégalités persistantes. Au fil des diverses conversations, alors qu’iels se maquillent et essaient des costumes pour la Pride, tout en prenant du vin et des shooters, les protagonistes se confrontent à la divergence inattendue de leurs opinions. Leurs désaccords font surface, le ton hausse et les festivités prennent un goût de plus en plus doux-amer.
Le spectacle débute avec les comédien·ne·s qui dansent et font la fête, donnant à voir la chaude amitié des personnages qu’iels interprètent. À multiples reprises, la musique ralentit et provoque une sorte d’arrêt sur image; des jets de lumière mettent en évidence les expressions faciales des ami·e·s, l’intensité du moment qu’iels vivent ensemble. Cette chorégraphie au ralenti s’avère intéressante, mais elle s’allonge un peu trop, d’autant plus que la pièce propose une seconde introduction, adressée directement au public par Benji (Ludovic Jean), seul personnage à briser le quatrième mur. Son ton humoristique ainsi que ses apartés complices avec le public permettent d’alléger certains sujets plus éprouvants, tels que la violence envers les communautés LGBTQ+. Il livre aussi une version revisitée de Don’t rain on my parade de Barbara Streisand, tandis que les autres comédien·ne·s dansent comme s’iels étaient à Broadway. Si le rythme s’avère d’abord un peu lent (ce qui va sans aucun doute se resserrer au fil des prochaines représentations), le reste de l’œuvre s’enchaine ensuite avec dynamisme, entre autres, grâce à cet aspect loufoque inspiré des comédies musicales.
Deux heures avant la Pride, le groupe d’ami·e·s se rejoint au studio de création de Maeva (Ines Sirine Azaiez), qui les accueille costumée en phénix pour illustrer sa renaissance en tant que lesbienne. Cependant, elle se fait rappeler par ses ami·e·s tout au long de leur séance de préparation aux festivités qu’elle est la seule du groupe à n’avoir toujours pas fait de coming out à sa famille. Cette injonction au coming out manque de sensibilité de la part de ses ami·e·s, bien que celleux-ci y voient là un rite de passage, libérateur et politiquement nécessaire. Iels projettent, en fait, leur propre expérience, alors que le processus de recherche identitaire de Maeva n’a pas à inclure ça à tout prix. Je ne remets, certes, pas en question l’importance que cela peut représenter et le profond soulagement qui peut suivre une telle déclaration, mais il s’agit aussi d’une injonction qui accompagne exclusivement la sexualité queer, la marginalisant, la marquant encore là comme différente et déviante. Le coming out ne représente pas la même chose pour toutes les personnes LGBTQ+ et c’est ce que réussit justement à démontrer Les Fabuleuses. La mise en discours de telles questions identitaires constitue l’intérêt même de cette œuvre théâtrale, qui rend visible l’hétérogénéité des expériences queer, notamment par rapport à la religion et aux démonstrations publiques d’affection. Il semblerait, toutefois, que les personnages n’admettent pas tout à fait cette hétérogénéité. En effet, les conflits que leurs perspectives et vécus variés suscitent ne se règlent, finalement, jamais, puisque leurs mésententes sont arrêtées par l’incitation au calme d’un·e membre du groupe, sans que les débats ne mènent vraiment à des prises de conscience. Les personnages semblent rester campé·e·s sur les idées, sans réellement accueillir de nouvelles nuances, du moins, dans le cadre temporel de la pièce.
Cela dit, Les Fabuleuses est un spectacle haut en couleur, comique et touchant, brillamment réalisé par une talentueuse équipe d’artistes de la relève. Il s’agit d’une œuvre nécessaire, d’une représentation à laquelle la communauté LGBTQ+ peut s’identifier, pertinente en raison de sa reconnaissance de la multiplicité des subjectivités queer. Le collectif À Gorge Déployée parvient à aborder avec sensibilité des enjeux identitaires actuels encore souvent négligés dans le répertoire théâtral. Les décors, les accessoires (Alice Poirier), les costumes et les maquillages (Laurie Foster) garantissent un caractère ludique et flamboyant parfait pour le contexte de la Pride, pour le clin d’œil à Broadway et pour atténuer les tensions narratives.
Les Fabuleuses, à Premier Acte du 11 au 22 avril 2023
Crédit photo David Mendoza Hélaine