Bonnes Bonnes : recette relevée

Bonnes Bonnes : recette relevée

En voulant adapter Les Bonnes de Jean Genet pour parler de la lutte de classes en Chine, Sophie Gee, Canadienne d’origine chinoise, s’est rendu compte qu’elle faisait fausse route et qu’il y avait plus à tirer encore de cette histoire de bonnes qui, à travers un jeu de rôle, fantasment d’assassiner une maîtresse qu’elles semblent idolâtrer. De ce projet de monter Les Bonnes est née Bonnes Bonnes, une adaptation libre aussi pimentée que la sauce chili apprêtée en direct sur scène.

Présentée au Théâtre Aux Écuries, la production de Nervous Hunter raconte les complexes identitaires vécus par plusieurs membres de la communauté chinoise au pays : le désir de se fondre dans la majorité blanche, le sentiment d’infériorité intériorisé, un sourd désir de vengeance, la crainte de paraître trop Chinois ou pas assez… et bien d’autres difficultés vécues en tant que minorité visible.

Réunies dans le décor de la pièce par leur amie Sophie (Sophie Gee), qui souhaite leur montrer l’adaptation des Bonnes qu’elle a réalisée, Charo (Charo Foo Tai Wi) et Meilie (Meilie Ng) se joignent à elle dans la préparation d’une sauce chili. Tout en tranchant précautionneusement les piments et en écrasant généreusement les gousses d’ail, elles visionnent la captation de la pièce, projetée sur grand écran, qu’elles commentent en partageant leurs souvenirs d’enfance, leur héritage culturel et familial, leur propre expérience avec le racisme et leur rapport amour-haine avec l’omniprésente culture blanche. La discussion s’échauffe en même temps que la sauce. Dans leurs mots, avec leurs accents, leurs parcours personnels et leur sensibilité, les trois interprètes offrent une performance pleine de naturel et de charme.

Le texte de Tamara Nguyen et de Sophie Gee fait de nous les témoins d’une conversation à bâtons rompus qui résonne chez une partie du public et qui initie l’autre partie, membre de la majorité, à un déchirement identitaire qui lui est étranger. Avec humour, la pièce aborde des questions délicates et des enjeux que bien des générations précédentes ont voulu taire par souci de ne pas faire de vague, de ne pas se faire remarquer. De brefs moments chorégraphiés où les gestes répétés des interprètes deviennent une mécanique rappelant l’asservissement des ouvrières, discrètes, silencieuses, invisibles, font également respirer la production tandis que l’odeur du chili qui mijote emplit peu à peu la salle.

Loin d’être une simple adaptation du classique de Jean Genet, Bonnes Bonnes la remet en perspective dans le contexte historique et social de la communauté chinoise au Canada et de la rapide transformation de la société chinoise. Plus brillant encore, la pièce questionne les à priori : les nôtres dans la salle, les leurs sur scène, celles du public, caucasien comme asiatique, et nos incompréhensions mutuelles qui génèrent tant de douleurs inutiles. Les multiples niveaux d’analyse de cette production en font une des belles surprises de la saison.

Bonne Bonne à l’affiche au Théâtre Aux Écuries du 11 au 22 avril 2023

Crédit photos Svetla Atanasova

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