FTA 2023 – The Making of Pinocchio : pas fait en bois
FTA 2023 – The Making of Pinocchio : pas fait en bois
Première soirée au Festival TransAmériques pour Theatre.Quebec, première brillante proposition avec The Making of Pinocchio, en provenance de Glasgow. La production éclatée de Rosana Cade et Ivor MacAskill, partenaires sur la scène comme dans la vie, s’attache à la question de l’identité de genre à travers l’histoire de Pinocchio, ce pantin de bois qui rêve de devenir un vrai petit garçon. L’idée, inspirée et inspirante, prend des allures de vrai faux laboratoire de création, où les deux complices et leur équipe tirent des éléments de ce conte populaire italien pour mieux parler des défis et des transformations vécus par Rosana et Ivor au fil de la transition physique et émotionnelle de l’un d’eux.
Sur une grande scène drapée de rouge, le duo triture dans tous les sens le rapport au corps et à l’autre, au sexe, à l’identité, mais aussi les ressentis, la pression sociale et familiale, la curiosité indiscrète à la limite du voyeurisme et tant d’autres difficultés, doutes et questionnements qui jalonnent le parcours des personnes qui ne cadrent pas dans le moule de l’hétéronormativité.
The Making of Pinocchio mêle allègrement le vrai et le faux, la confession et le mensonge, le réel et l’inventé pour nous amener à nous interroger sur nos propres préconceptions, et nous placer dans un état d’esprit où l’assise même de nos certitudes n’est plus aussi solide. La production d’Artsadmin joue avec nos perceptions, s’amusant avec des effets de perspective rendus possible grâce à des caméras sur scène et une utilisation judicieuse de l’espace. Les images captées en direct (ou pas?) sur grand écran rendent tantôt immenses, tantôt minuscules les accessoires, éléments de décor ou interprètes, les mettent en contact alors qu’ils sont à bonne distance, tout en nous laissant voir la mécanique de ces illusions.
La complicité d’Ivor et de Rosana cimente la production, pleine d’humour et de tendresse. Leurs dialogues, parfois involontairement drôles ou absurdes, parfois extrêmement touchants, en dévoilent autant sur leur cheminement personnel que sur leur démarche créative, une démarche dont ils nous donnent l’impression de faire partie, tant ils parviennent à nous inclure dans leurs explorations et questionnements.
Qu’on soit familier ou non avec les enjeux et la réalité de la communauté trans ou queer en général, The Making of Pinocchio touche droit au cœur parce que le spectacle parle avant tout de l’embrouillamini de sentiments et de réflexions qui fait de nous des êtres humains. Il parle d’humains qui s’aiment malgré leurs différences, d’humains qui doutent, d’humains qui souffrent de ne pas pouvoir être librement qui ils sont. On peut se moquer du pantin, de ses fils, de sa démarche ou de son allure, on peut le déshabiller pour voir ce qui se cache entre ses jambes, on peut trouver ridicule son aspiration à vouloir troquer le bois pour la chair, on peut même faire un spectacle de son corps, mais ce que cette production montre avant tout, ce sont les cœurs battant sous les nervures du bois.
Sans pointer du doigt, sans porter d’accusations, cette production laisse les jeux de perception faire leur œuvre, dénudant les faux-semblants autant que les corps pour révéler avec une pudeur tranquille qu’au centre de tout, il y a l’amour que l’on se porte à soi et aux autres. Avec respect, ouverture d’esprit et une infinité de déclinaisons possibles.
Crédit photo Tiu Makkonen