Avignon, jour 2 – Perdue

Avignon, jour 2 – Perdue

Drôle de journée que ce deuxième jour à Avignon. J’ai eu l’impression de passer mon temps à me chercher. Commencée sous une montagne de jouets avec un très sympathique spectacle jeune public en OFF, la journée s’est conclue dans la forêt d’Athènes, en fait le jardin de la rue des Mons, juste derrière la Maison Vilar, avec ma première saucette du côté du Festival d’Avignon, le fameux IN. Entre les deux, j’ai tenté de réserver mes derniers spectacles, sans parvenir à joindre une seule billetterie ou attaché de presse. J’ai donc plutôt profité de mon temps libre entre 11h et 21h pour me promener et, surtout, pour commencer à écrire. C’est bien beau le tourisme, mais je suis ici pour travailler, n’est-ce pas?

Je ne vous mentirai pas : le mercure ne cesse de grimper depuis quelques jours et il devient par moment difficile de tenir très longtemps dehors sous le soleil de Provence. Il suffit de voir les trottoirs encombrés côté ombre et les trottoirs en plein cagnard désertés pour comprendre que tout le monde en souffre. Les artistes traquent alors les spectateurs attablés en terrasse, entre deux Aperol Spritz ou verres de rosé. Et les éventails se font aller dans toutes les couleurs et les motifs imaginables. La vente des chapeaux de paille, l’accessoire mode par excellence du festivalier avignonnais, et des petits pantalons de toile font faire de bonnes affaires aux commerces. Mais revenons-en à la portion culturelle, même si, dans l’économie d’Avignon, on a parfois l’impression qu’elle n’est qu’un facteur parmi bien d’autres.

À moi – Tout le charme de la marionnette au service de l’histoire

Le charme de la marionnette de chiffon fait son effet dans l’adorable production de la compagnie française A Kan la Dériv’. À moi plonge dans le petit monde de l’enfance en s’intéressant à la naissance de la possession chez l’enfant, au moment où celui-ci passe de la découverte des objets à l’envie de les avoir pour lui.

Grandissant dans un monde où l’objet occupe une place centrale au quotidien, la petite Céleste développe rapidement son intérêt pour les objets qu’on lui agite sous les yeux, qu’on lui tend, qu’on lui interdit de toucher, qu’on place hors de sa portée, ceux aussi qui se font beaux en vitrine ou entre les mains des premiers amis… Son petit monde se remplit de ces objets qui se décuplent au point de former une véritable montagne dans sa chambre!

Le concepteur et metteur en scène Anthony Diaz offre avec cette récente création un univers tout doux pour les enfants (dès 3 ans). Enveloppée par la musique discrète d’Alice Huc et baignée de lumières et de couleurs qui mettent en valeur son personnage principal, la pièce se met à hauteur d’enfant tant dans la façon dont le monde semble se construire autour de la petite Céleste au fur et à mesure que sa perception de celui-ci s’élargit, que dans le rôle que joue l’imagination hyperactive de l’enfant dans sa compréhension des choses et des concepts. Plusieurs tableaux sèment des étoiles dans les yeux du public, jeune et moins jeune, comme cette envolée dans l’espace ou cette séquence épique de combat contre un serpent géant.

Au centre de l’histoire, la Céleste au visage rond a de grands yeux qui font craquer les coeurs. Malgré son aspect très simple – une tête d’oeuf, une poche pour tout corps, un seul bras, et de petits souliers pour les pieds -, la marionnette se révèle très expressive, notamment grâce à une manipulation fine qui sait prendre son temps. On perçoit dans ses mouvements la maladresse, la détermination et la curiosité insatiable des tout-petits. Au jeu et à la manipulation, Ornella Amanda, Maxime Renaud et Vincent Varène tissent un cocon délicat autour de cet enfant.

À moi, production aussi charmante que le laisse supposer sa jolie affiche, déborde de moments tendres ou surprenants, mais, plus important, elle rappelle aux petits et aux grands l’importance de trouver un certain équilibre dans son désir de possession si on ne veut pas finir enseveli.

Crédit photo Isabelle Limacher

Le Songe – Troquer la forêt enchantée pour un carré de terre sèche

Pour le premier opus de sa nouvelle série Démonter les remparts pour finir le pont, le metteur en scène Gwenaël Morin s’est laissé guider par la langue à l’honneur en cette 77e édition du Festival d’Avignon, soit l’anglais. Tout naturellement, son choix s’est porté sur un texte du plus grand barde anglais. « Le jardin, l’été, la nuit, la promesse, le fantasme, c’est Le songe d’une nuit d’été », explique en entrevue dans le journal La Terrasse l’artiste dont il s’agit de la première présence au Festival.

Et donc ce Songe, qui prend place dans le jardin de la Maison Jean Vilar, trouve un écrin prometteur à l’ombre des grands arbres, au milieu des bosquets. Deux sphères lumineuses géantes font office d’astres, trompant même les cigales qui continuent de chanter bien après leur heure de repos. Ce terrain de jeu, où l’herbe se fait pourtant rare, c’est celui de quatre acteurs et actrices avec lesquels Morin a fondé sa compagnie, le Théâtre permanent d’Aubervilliers : Virginie Colemyn (hilarante Héléna), Julian Eggerickx, Barbara Jung et Grégoire Monsaingeon. Ces deux hommes et deux femmes, soutenus par moment par deux autres acteurs (Nicolas Prosper et Jules Guittier), incarnent à eux seuls les personnages principaux de l’histoire. Tantôt Puck ou Lysandre, tantôt Hermia ou Obéron, ils changent de peaux comme de toges athéniennes. L’idée est ambitieuse, même pour une comédie shakespearienne et des interprètes d’expérience. Le résultat l’est nettement moins.

Au coeur de la moiteur d’une nuit avignonnaise, dans ce jardin dépouillé, on peine à sentir les ardeurs des jeunes amants et les emportements puérils (et dangereux) des esprits des bois que sont le roi Obéron et la reine Titania. La proposition manque de hauteur; même si les interprètes forcent la voix pour couvrir le chant des cigales, celles-ci ont davantage de conviction. Du moins, tout le premier acte semble se jouer sur un ton déclamatoire qui n’apporte rien de bien nouveau à cette comédie quatre fois centenaire. L’utilisation de la traduction conventionnelle de François-Victor Hugo n’aide certainement pas à offrir un aspect nouveau à cette mise en scène du Songe.

La production joue nettement mieux la corde de la comédie, proposant un Bottom dont la bêtise fait sourire à plusieurs reprises et dont la vulgarité sied bien au spectacle. L’aspect charnel qu’il apporte, alors même que les acteurs et actrices se roulent littéralement dans la poussière du jardin, donne lieu à quelques scènes marquantes. Ce sont par ailleurs les scènes réunissant les personnages de paysans apprentis acteurs qui présentent le plus d’intérêt pour leur caractère risible et leur rhétorique simpliste.

Ce Songe, qui ne semble pas, hélas, savoir quoi faire des nombreux aspects aujourd’hui problématiques (abus, manipulation, relations toxiques…) de la pièce de Shakespeare, en ajoute même une couche ou deux avec, entre autres, une Héléna jouant « l’indienne » en dansant autour d’une Hermia « ligotée » à un arbre. Pourtant, d’autres relectures du Songe ont récemment su tirer parti de ces écueils, parfois même avec brio. Finalement, la proposition décevante de Gwenaël Morin nous laisse un souvenir dont la permanence sera aussi fugace que celle d’un rêve.

Crédit photo Christophe Raynaud de Lage

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