Avignon, jour 1 – Enfin les retrouvailles!

Avignon, jour 1 – Enfin les retrouvailles!

Avignon, comme on se retrouve! Avec tes rues de pierres et de pavés, tes innombrables commerces à la marchandise de valeur inégale, tes foules, ton soleil écrasant, tes murailles impressionnantes et surtout, surtout, ta grande foire théâtrale de juillet. Je débarque au neuvième jour du festival, alors que la machine tourne à plein régime depuis le 7 juillet déjà, les équipes sont bien rodées et les salles ont trouvé leur public, mais les artistes sont encore nombreux dans les rues à distribuer les affichettes et les arguments pour convaincre la foule d’ajouter un spectacle de plus à un horaire sûrement bien rempli. Je fends cette foule nonchalante ou pressée pour trouver mon hébergement pour la semaine, m’étonnant au passage des changements qui se sont opérés dans la ville depuis ma dernière visite, en 2018. Un tramway a poussé face à la gare, certaines rues sont désormais piétonnes de manière permanente avec de beaux espaces verdis (coucou Rue des Écoles!), des pop up shops ont poussé partout…

Un pied à terre intra-muros, soit à l’intérieur des murailles de la vieille ville, s’avère un atout précieux pour le festivalier ou la festivalière qui souhaite maximiser son temps. C’est aussi un havre bienvenu pour se reposer de la chaleur et du bruit entre deux spectacles. Un temps de repos capital pendant un tel marathon de théâtre! Armée de mon éventail bon marché, du plan des rues et d’une liste de spectacles qui ont piqué ma curiosité lors de mon effeuillage des invitations de presse et du programme du Off (qui fait plus de 450 pages cette année!), je me sens prête à foncer dans ces rues qui partent dans tous les sens, tournicotant sur elles-mêmes dans un entrelacs qui, quelquefois, me ramène à mon point de départ ou me mène très loin de mon lieu de destination, alors même que je pensais avoir enfin maîtrisé la cartographie avignonnaise. Grave erreur : ne jamais sous-estimer la bête…

Pour ce premier jour, je prends ça relax, je veux d’abord faire mon nid et trouver mes repères avant d’entamer mon circuit de six jours intensifs. J’ai réservé un seul spectacle en soirée, #Génération(s), qui a d’ailleurs quelques liens avec le Québec. Je suis plutôt contente de commencer mon séjour à La Manufacture (à ne pas confondre avec la compagnie montréalaise). Non seulement ce collectif contemporain offre chaque année une programmation variée et de qualité en accueillant compagnies françaises et internationales, mais le théâtre lui-même se trouve un peu à l’écart de l’action, surtout maintenant que le Village du Off a déménagé pour se rapprocher de la névralgique rue de la République. Ma balade dans les rues pour me rendre jusqu’au théâtre me rappelle déjà bien des souvenirs et je m’amuse encore comme une enfant des noms de certaines rues, comme cette rue de Roquille qui fait face à une rue de la Roquette, mais au milieu du bourdonnement de la foule et de la musique des artistes tentant d’attirer l’attention sur leurs spectacles, je ressens un tout petit frisson, un moment d’émotion, en réalisant que je me retrouve enfin à Avignon, trois ans après le rendez-vous manqué de 2020. Cinq ans sans ta folie, Festival d’Avignon, ce fut long.

#Génération(s) : l’adolescence comme un saut dans le vide spatial

L’adolescence, cette période charnière dont les expériences, les rencontres, les questionnements contribueront à définir l’adulte que nous deviendrons, est le thème central de la nouvelle création de la compagnie française Le Cri Dévot, présenté à La Manufacture pendant tout le Off Avignon. C’est avec une grande sensibilité et beaucoup d’écoute que l’équipe de création s’est intéressée à la génération Z, celle qui subira de plein fouet l’impact de nos inactions climatiques et d’un développement technologique effréné. Dans #Génération(s), la parole de cette jeunesse, ou plutôt son cri du coeur fait résonner angoisses, rêves, fantasmes et même accusations.

Conçu à partir de discussions et ateliers avec des jeunes à travers l’Europe, et jusqu’au Québec puisque le cometteur en scène Camille Daloz s’est rendu à Rencontres Théâtre Ados pour animer une de ces résidences participatives, le spectacle ouvre une fenêtre précieuse sur une génération qu’on taxe régulièrement de cynisme, d’hypersensibilité et de déconnexion au réel. La production montre au contraire que les jeunes d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, sont lucides, allumés et pleins de vie, même s’ils sont parcourus de doutes et de contradictions. Ils parlent parfois avec des mots qui nous paraissent étranges et affrontent des situations que nous n’avons jamais rencontrées à leur âge, mais impossible de ne pas se reconnaître en eux, dans l’intensité avec laquelle ils vivent toutes leurs émotions.

Sur scène, un cube lumineux plante le décor d’un mystérieux voyage spatio-temporel dans l’intimité de l’adolescence. Le dispositif scénique, fait de bandes lumineuses, nous transporte dans l’espace, auprès d’un astronaute vêtu de pied en cap. De tout là-haut, il observe les mouvements des ados, de la maison à l’école, aussi bien que leurs premiers émois amoureux, leurs premières fièvres sexuelles, et toutes les transformations physiques et psychologiques qui caractérisent cette étape charnière de nos vies. Comme l’astronaute dans sa combinaison spatiale, l’ado est engoncé dans un habit qui l’isole et rend gauche et déplacé; il devient l’observateur critique du monde qui l’entoure.

Accompagné par l’enveloppante musique électro créée sur scène par Allister Sinclair, le comédien Bastien Molines livre une performance remarquable, alternant les tons et la gestuelle des jeunes dont il porte la parole. L’énergie qui le traverse est communicative, à la fois tendre et vive. C’est par sa voix que nous entendons les jeunes se définir, tantôt par les vêtements qu’ils portent, tantôt par leurs origines, la musique qu’ils écoutent ou leur opposition à ce que sont leurs parents…

Création collective portée par la parole adolescente, #Génération(s) cède tout l’espace à la génération Z sans jugement ni à priori, et nous invite à prendre le temps de l’écouter à notre tour.

Crédit photo Marc Ginot / Clémence Floris

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