FBDFQ – Les dess(e)ins du cirque
Par David Lefebvre
L’an dernier, Parenthèse 9 proposait sa première édition de cabaret mêlant cirque, musique et dessin. Quoiqu’imparfaite (selon les dires du présentateur), elle avait su séduire les nombreux spectateurs conviés au Musée de la civilisation. Cette année, pour sa seconde édition toujours en mode expérimental, le laboratoire Fabuleux cabaret numérique explore plus en profondeur les possibilités des technologies numériques, et cherche à trouver comment celles-ci peuvent soutenir, ou même améliorer la représentation dite plus organique. Tout ceci en vue d’un projet final qui pourrait être présenté à l’automne prochain ou l’année suivante.
Sur scène, on retrouve avec plaisir les artistes circassiens Simon Giraldo, Joannie Hébert, Josianne Lamoureux et Alexandre Seim. Au dessin, les mains de Francis Desharnais, Catherine Lemieux et Richard Vallerand s’exécutent. Derrière les nombreux ordinateurs, Louis-Robert Bouchard et Benoit Duinot ; à la trame sonore en direct, les extraordinaires Frédéric Brunet et Nicolas Jobin qui accomplissent un boulot peut-être moins expérimental que l’an dernier (on se rappelle qu’ils avaient même utilisé un mélangeur), mais totalement abouti et inspiré, à un point tel qu’on aimerait bien pouvoir se procurer l’enregistrement à la fin de la représentation…
Au menu, quelques numéros revampés de l’an dernier, et quelques très jolies nouveautés. Joannie Hébert ouvre le bal avec son personnage clownesque ; la miss chasse-tache tente d’enrayer le dégât fait par la dessinatrice Catherine Lemieux sur l’affiche agrandie sur l’écran du fond de scène. Peine perdue. La clown reviendra tout au long de la représentation pour amuser la galerie, avec un décompte qui pousse au suspense et une course folle en patins à roulettes pour échapper à un ogre dessiné.
La salle et l’écran s’obscurcissent ; sur celui-ci apparaissent des formes captées par une simple webcam. L’image, sombre, mais aux corps lumineux, fait penser à un effet d’infrarouge. Les artistes viennent faire tourner des lanternes au bout de cordes ou de bâtons, produisant de splendides effets lumineux sur l’écran, alors que Jobin et Brunet s’amusent à créer une musique de type beatbox ; surprenant. Francis Desharnais entre ensuite en scène, et dessine, grâce à la captation de la lumière d’une lampe de poche, des têtes d’animaux que s’empressent d’imiter les quatre comparses autour de lui. Les dessinateurs ajoutent les couleurs aux têtes d’éléphant, de lion et d’oiseau qui prennent forme. Puis, une craie vient dessiner des formes rectangulaires alors qu’on jongle à deux avec des quilles ; une très jolie chorégraphie au son d’un faux didgeridoo.
Le numéro le plus BD de la soirée s’imposera sous la forme d’un chat (Simon Giraldo) qui s’amuse, culbute et saute, jusqu’à ce qu’Alexandre Seim s’amène avec un squelette de cube, dans lequel s’ajoute un oiseau animé sur l’écran. Le chat voudrait bien attraper l’oiseau, mais le maître s’y oppose, jusqu’à enfermer le chat dans la «boîte»… Uniquement dessiné et narré, le conte qui suit, sur la naissance du jour et de la nuit, qui voit se juxtaposer dessins en direct et animation numérique, charme. Sur le thème des transports, Josiane Lamoureux époustoufle encore une fois avec son tableau de cerceaux qu’elle manipule extraordinairement bien ; sont-ils vivants et sous son joug? Nul pourrait le dire. Les voir rouler et tournoyer autour de son corps, ses bras et ses jambes rappellent les pales d’un avion, les roues d’un train et les tornades destructrices. Le superbe numéro d’anneaux qui se multiplient sur l’écran grâce à l’animation numérique en direct est de retour, avec l’ajout d’un troisième jongleur, tout comme celui sur la guerre, interprété par Alexandre Seim et ses bâtons mitraillettes. Giraldo vient encore émerveiller et toucher l’audience avec sa danse acrobatique et sa jonglerie de papier (qui collent littéralement aux paumes de ses mains et de ses pieds), immensément poétique – un numéro qui a su toucher profondément le public. Mais c’est le tableau de clôture qui viendra réellement marier les trois techniques sur scène : alors que les dessinateurs viennent créer des paysages de désert et de routes, les techniciens captent les mouvements des artistes circassiens grâce à une Kinect modifiée, créant des personnages aux textures psychédéliques, rappelant vaguement le clip «Take On Me» du groupe a-ha. L’effet est tout aussi fort que sensuel, évoquant même les pochettes et les effets des années 70. Il y a là un réel potentiel à explorer.
L’équipe de création aura comme défi maintenant de trouver un moyen d’unifier les tableaux, grâce à un fil conducteur solide, d’inclure davantage les dessinateurs au jeu sur scène (comme on a pu le faire avec Desharnais) et de créer de réelles transitions – en utilisant possiblement le personnage comique de Joannie Hébert. Mais ce cabaret cirquo-dessino-numérique regorge de trouvailles, d’audace, d’inventivité et de talent : il est déjà fabuleux, il deviendra assurément exceptionnel dans sa forme définitive.