Les Waitress sont tristes : Créatif cowboy solitaire
Les Waitress sont tristes : Créatif cowboy solitaire
La solitude, silencieuse, pesante, traverse la nouvelle production de la compagnie Joe, Jack et John, à l’affiche d’Espace Libre ce mois-ci. L’oeuvre collective, dont l’idéation est signée par Michael Nimbley, s’expérimente comme une longue ballade country avec ses moments douloureux, ses amours espérés ou déçus et ses vastes paysages à explorer.
Sur le plateau du théâtre de la rue Fullum, un tapis roulant devient ce territoire sur lequel on marche en allant nulle part, une peluche se métamorphose en fidèle compagnon à quatre pattes et une lune croissante jette son éclairage blafard sur la scène. Tout est fait de toc, de la lune qu’on hisse au bout d’une corde aux bruits préenregistrés d’objets mimés par les interprètes, donnant à l’ensemble des allures de films westerns à petit budget.
À la mise en scène, Nimbley et Catherine Bourgeois, son « alliée créatrice » (un titre créé par la compagnie), ne pressent pas l’histoire, la laissant se déployer tout en langueur et répétitions tandis que Morrison le cowboy tente d’échapper à ses horizons mornes, mais aboutissant encore et toujours à la même table dans un bar semblable à tous les autres et où les waitress refusent d’être tristes comme leur impose l’auteur de la pièce. Ces waitress ne sont pas tristes, elles sont en criss, elles se révoltent ouvertement contre le rôle qu’on voudrait leur faire jouer. Et leur indiscipline provoque inévitablement la prise de conscience du cowboy. Confronté à son existence solitaire, il reprend aussitôt la route dans un cycle sans fin.
Michael Nimbley, qui vit avec une différence intellectuelle, incarne ce cowboy infiniment triste, coléreux par moments, mais tout de même attachant avec son inséparable chat Ti-Mousse. Les surtitres permettent à la fois de suivre les détails des dialogues lorsque la prononciation est moins claire, et de chanter en karaoké lorsque les inévitables ballades country viennent ponctuer le récit. Le public ne boude d’ailleurs pas son plaisir et chante en choeur des classiques comme Achy Breaky Heart.
Si la production finit par tourner un peu à vide, il y a lieu d’apprécier tout le processus de création pour non seulement rendre ce projet accessible au plus grand nombre grâce aux surtitres et à une interprétation en langue des signes québécoise, mais aussi, et surtout, pour offrir l’espace essentiel aux artistes de la neurodiversité pour créer. Sans des compagnies comme Joe Jack et John, on n’aurait pas la chance de voir des productions comme Les Waitress sont tristes, une oeuvre originale où, certes, le thème de la différence occupe une place importante, mais dont il n’est pas le coeur. C’est la solitude qui occupe l’avant-scène.
L’alter ego de l’auteur, le cowboy Morrison ne trouve pas sa place dans la danse en ligne exécutée en un parfait unisson par les waitress, une mécanique réglée au quart de tour et qui finit par étouffer le cowboy tentant de se joindre au mouvement. Tout le monde a déjà eu cette impression un jour ou l’autre d’être l’étranger, l’observateur d’une vie qu’il voudrait plus passionnante.
Sans faire d’éclat, au son d’une guitare et au clair d’une lune en carton, Les Waitress sont tristes nous chante une ballade dont les paroles résonnent en nous avant même de les entendre, tant le thème de la solitude est universel.
Au Théâtre Espace Libre du 16 septembre au 1er octobre 2022
Crédit photo Vivien Gaumand