La nuit des rois : l’amour follement et pour toujours
La nuit des rois : l’amour follement et pour toujours
Davantage reconnu pour ses grands drames, Shakespeare compte aussi son lot de comédies parmi lesquelles La nuit des rois figure en bonne place parmi les pièces les plus souvent montées. Après les trois années que nous venons de vivre collectivement, la coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et du Théâtre Advienne que pourra est exactement ce dont nous avons besoin pour faire le plein de bonne humeur. La production devait être présentée à l’automne 2020, mais la pandémie en a décidé autrement. Il y a donc derrière l’arrivée de cette Nuit des rois si longtemps espérée comme un ton de triomphe contre l’adversité.
Narrée par Feste le fou (impeccable Benoît McGinnis), la pièce débute par un naufrage qui rejette sur les côtes la jeune Viola, mais qui semble avoir englouti son frère jumeau, Sébastien. Prenant l’apparence de son frère, Viola se met au service du duc Orsino, dont elle tombe amoureuse, mais lui est amoureux d’Olivia, qui à son tour tombe amoureuse… du personnage inventé par Viola, complétant un triangle amoureux… qui se complique encore davantage au fil de la pièce. Ici, tout le monde est malheureux en amour!
Cette adaptation joyeuse, cosignée par Rébecca Déraspe et Frédéric Bélanger, a des allures de grande fête, notamment grâce à l’apport précieux de musiciens sur scène qui permettent aux personnages d’en interrompre à quelques occasions le fil narratif le temps de pousser la chansonnette, donnant à l’ensemble des allures de cabaret improvisé. Enveloppée par des captations vidéo tournées sous l’eau, en apesanteur, la production nous laisse surtout l’impression d’avoir plongé tout éveillés dans un songe plaisant où tout n’est que jeux d’apparence et travestissements.
Bélanger et Déraspe parviennent à tirer tout le sel des chassés-croisés amoureux shakespeariens, du désir qui rend fou et dévore, aussi bien que le caractère comique de ces histoires. Ils n’en gomment par pour autant le sexisme de la pièce tout en offrant même une vision plus libre et simple de l’amour, dans un monde où il n’est contraint ni par l’identité ni par l’orientation sexuelles. Les êtres finissent par accepter la folle griserie de l’amour au-delà des attentes, des convenances et de leurs propres craintes.
La barque est menée par une distribution hors pair, dont il faudrait nommer quasiment tous les membres tant chacun apporte sa pierre à l’édifice. En plus du Feste plein de mordant de McGinnis, le public est ravi par le malheureux Malvolio proposé par Yves Jacques, dont la moindre mimique déclenche l’hilarité du public et parfois jusque parmi ses collègues de scène. Étienne Pilon et François-Simon Poirier, qui formaient déjà un redoutable duo comique dans une précédente production d’Advienne que pourra, récidivent en sir Andrew et sir Toby; chacune de leurs apparitions est à crouler de rire. Tandis que Kathleen Fortin a l’occasion de nous ravir à nouveau avec sa voix magistrale. En fait, les personnages secondaires volent bien souvent la vedette aux principaux, plus ancrés dans leur drame personnel. Dans la peau de l’infortunée Viola, prisonnière de son mensonge et de son amour, Clara Prévost réussit tout de même à nous attendrir sur son sort. Toute la distribution est magnifiée par les fastueux costumes de Sarah Balleux dont les couleurs et les textures sont un ravissement de tous les instants, bien que le collier à plumes de Feste semble gêner son interprète à quelques reprises.
Festive, joueuse, charmeuse, cette Nuit des rois a tôt fait de nous emporter dans son tourbillon, avec notre plein consentement!
La nuit des rois, au TNM, du 20 septembre au 15 octobre 2022
Crédit photo : Yves Renaud