Manikanetish : Lumière sur la communauté
Manikanetish : Lumière sur la communauté
Le roman de Naomi Fontaine, paru en 2017, passe des pages à la scène dans une adaptation à la fois touchante et drôle signée par l’autrice elle-même et par Julie-Anne Ranger-Beauregard. Une première ouverture du Théâtre Duceppe sur les réalités vécues par les Premières Nations.
De retour dans son village natal de Uashat qu’elle a quitté toute jeune, Yammie, une enseignante de français nouvellement diplômée, y fait la connaissance d’un groupe d’adolescents aux intérêts, aux défis et aux aspirations variées à l’école Manikanetish, du nom d’une femme inspirante de la communauté. Tout comme Yammie, qui laisse derrière elle un copain qui a refusé de la suivre à l’autre bout de la route 138, ces jeunes à l’aube de l’âge adulte sont en quête de repères culturels et de fenêtres ouvertes sur l’avenir, malgré les difficultés qui jalonnent la vie dans cette réserve de la Côte-Nord. Mais Manikanetish, ce n’est pas que l’histoire d’une enseignante apprivoisant ses élèves ni que celle d’une femme redécouvrant ses racines, son territoire; c’est aussi celle de ces presque adultes qui s’accrochent, qui rêvent, qui se soutiennent et qui, surtout, expriment leur amour pour leur culture (innu aitun), leur langue (innu aimun) et leur communauté. Lumineux.
La mise en scène de Jean-Simon Traversy plante le décor dans un grand gymnase aux multiples chaises vides, mais représentant un lieu de rassemblement pour les élèves, un lieu de prise de parole et de possibilités. C’est dans cet espace que les événements racontés par Naomi Fontaine, qui s’est inspirée de sa propre expérience, prennent place, qu’ils se déroulent à l’école ou dans un salon funéraire ou même dans le Nutshimit, l’intérieur des terres. La mise en scène ne cherche pas à évoquer tous ces lieux, laissant plutôt parler les mots de l’autrice.
La décision de l’équipe de création d’intégrer (à quelques jours de la première!) l’autrice en personne et son fils à la production paraît moins pertinente. Cette couche de narration vient plutôt amoindrir l’effet de cohésion du groupe de jeunes interprètes, issus des nations innue et micmaque. Alors que, malgré un niveau de jeu inégal dû à leur manque d’expérience, ils y jouent avec tout leur coeur. Parmi les jeunes, Sharon Fontaine-Ishpatao dans le rôle de Yammie, alter ego de l’autrice, se démarque en héritant d’une partition émotive complexe. Marc-Olivier Gingras, en clown de la classe, brille avec un rôle qui semble lui aller comme un gant.
On pardonne aisément les quelques faiblesses du spectacle tant ce qui se transmet de la scène à la salle est essentiel : la force de la culture et le plaisir de raconter, de créer. Il y a aussi à travers Manikanetish un vibrant hommage à la résilience des comédiens et comédiennes et à celle des personnages qu’ils interprètent, qui auraient toutes les raisons de lâcher, mais qui se relèvent et persévèrent parce que l’espoir demeure.
Tout en n’évitant pas d’aborder les sujets plus durs, comme le suicide chez les jeunes, la maternité précoce et les enjeux liés aux manques de ressources et d’opportunités dans les communautés plus éloignées, Manikanetish déborde surtout d’amour et de fierté. Une très belle invitation à écouter et à s’ouvrir.
Manikanetish à l’affiche chez Duceppe du 8 mars au 8 avril 2023
Crédit photo Danny Taillon