Quand nous nous serons suffisamment torturés : réflexion sur le pouvoir

Quand nous nous serons suffisamment torturés : réflexion sur le pouvoir

Christian Lapointe a entamé un grand travail de réflexion lorsqu’il s’est attaqué à la pièce de Martin Crimp, When We Have Sufficiently Tortured Each Other. Présentée à Londres en 2019 avec Cate Blanchett en tête d’affiche, la pièce avait été sévèrement critiquée. Tandis que certains l’avaient trouvé ennuyeuse, d’autres lui reprochaient d’être offensante. Le metteur en scène et pédagogue québécois nous propose une version nuancée qui pose beaucoup de questions et qui propose une réflexion importante sur le pouvoir, les rôles genrés archaïques, le consentement et… les biais de l’auteur.

Quand nous nous serons suffisamment torturés est une pièce en 12 actes/variations inspirée du roman épistolaire Paméla et la vertu récompensée. Cette œuvre publiée en 1740 raconte l’histoire d’une jeune servante de 15 ans séquestrée par son maître. Elle tente longuement de repousser ses avances et finit par accepter un contrat de mariage accompagné d’une bonne somme d’argent. À l’époque, le roman est perçu de deux manières opposées. D’un côté, certains le voient comme un exemple de vertu ; de l’autre, comme celui étalant les manigances d’une jeune fille qui tente de paraître vertueuse. Bien entendu, l’auteur étant masculin et le produit d’une certaine époque, on peut facilement imaginer les intentions de celui-ci, similaires aux romans tels que Lolita : une tentative de pousser le narratif du fait que ces jeunes femmes ne demanderaient qu’à être séduites.

Cette pièce écrite par Martin Crimp s’inscrit dans son travail de réécriture des grands classiques de la littérature, comme La mouette (The Seagull, 2006) et Cyrano (2019), pour ainsi les imaginer de nouveau avec un œil plus actuel et amener le public à s’interroger davantage sur les thèmes qu’ils abordent.

Quand nous nous serons suffisamment torturés ne propose pas de réponses claires aux questions qu’elle soulève. Elle laisse au public le devoir de le faire. Elle présente des personnages amusants, qui agissent de façon tout à fait imprévisible dans un échange où chacun essaie constamment d’avoir le dessus sur l’autre. Ils sont complexes, pleins de failles et de défauts et il est difficile, voire impossible, de savoir «qui a le gros bout du bâton». Céline Bonnier et Emmanuel Schwarts nous présentent ainsi un duel des plus intrigants. Les comédiens démontrent une belle complicité, donnant l’impression d’improviser dans toutes les scènes de la pièce.

Durant quelques actes, les rôles se retrouvent inversés : il faut un bon moment avant que les personnages s’interpellent par leurs noms pour permettre au public de réaliser le changement de personnage, démontrant ainsi le ridicule des conventions de genre complètement inventées.

Le décor et les costumes pourraient être longuement analysés. Ils opposent le 18e siècle au contemporain en présentant tant d’éléments contrastants : le papier peint d’époque, un ordinateur portable, un costume de bonne des années 1700, un uniforme d’écolière, une projection en premier plan de la scène, deux célèbres peintures de Fragonard ornant les murs, soit Le verrou et L’Escarpolette, modifiée pour n’en laisser qu’un personnage, etc. Beaucoup d’éléments de décors et de costumes différents sont ainsi offerts aux yeux du public, qui, malgré la durée de la pièce, ne sont utilisés que l’espace d’un court instant.

Certaines longueurs viennent plomber la représentation, mais là aussi, le public peut s’interroger : est-ce délibéré ? Christian Lapointe aime jouer avec cet élément, le temps en salle. Et garder assis le public comme bon lui semble est aussi un élément de pouvoir.

Crédit photo Maxime Robert-Lachaine


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Du 15 février au 5 mars 2022

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