par Daphné Bathalon, à Avignon

CABARET DE L’IMPOSSIBLE
Chapelle du Verbe incarné, 21G rue des Lices

Un Breton, un Québecois et un Réunionnais ; des carnets de voyage, un sens du rythme et un goût certain pour les mots. Voilà tout ce qu’il faut pour susciter l’envie de s’inviter au Cabaret de l’impossible, proposé à la Chapelle du Verbe incarné jusqu’au 28 juillet. L’invitation est belle en effet et ces premiers voyages dont les trois comparses nous font le récit sont tout aussi captivants. Chacun trimballe sa culture, son histoire, sa langue tantôt comme des boulets qui peuvent aussi se transformer en cages, tantôt comme des trésors qu’il faut chérir. Les comédiens évoquent leur territoire, l’île de l’un, l’immensité de l’autre et la perte de repères du dernier. Ils ouvrent les frontières de leur francophonie pour tenter de la définir à travers la culture politique, culturelle et historique. On accepte de bonne grâce de sourire des clichés sur sa nationalité, mais on en rit aussi, parfois jaune.

Qu’est-ce que ce que le français pour un Réunionnais, pour un Québécois ou même pour un Français de Bretagne? Qu’est-ce qui les unit et les distingue? Quels liens y a-t-il entre ces trois territoires distants de milliers de kilomètres, mais qui partagent une partie de leur histoire, de leur culture et de leur langue? Achille Grimaud, Sergio Grondin et François Lavallée tentent l’impossible en voulant répondre à ces questions identitaires et parviennent à nous transporter avec eux dans leurs étonnants voyages.

Pour mieux écrire sur leur culture, pour mieux parler de leur langue, les trois conteurs ont visité chacune des trois régions. Ce sont ces voyages qu’ils nous relatent sommairement. Trop court, le spectacle ne permet en effet que d’esquisser de beaux paysages et d’enrichissantes discussions (qui tournent parfois à la prise de bec). On aurait voulu davantage explorer ses francophonies, entendre ce qu’elles ont à dire d’elle-même et des autres. Alléché par la maîtrise des mots que démontrent les conteurs, on manque de temps pour déguster chacune des cultures. C’est d’autant plus dommage que le texte recèle d’images délicieuses faites de forêts, d’embrun et de rhum, un savoureux mélange de créole et d’expressions québécoises et françaises.

Les voyages semblent toujours se terminer trop vite, c’est bien le cas de cette très belle production qui, espérons-le, voyagera encore un moment.

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LA TEMPÊTE
L’Entrepôt, 1 ter, boulevard Champfleury

L’un des auteurs incontournables de tous les OFF, Shakespeare, offre du choix aux amateurs cette année encore. Entre les Roméo et Juliette, Gentilshommes de Vérone et Roi Lear se glissent deux Tempête, dont la proposition de la compagnie Nomades, qui s’amarre à L’Entrepôt jusqu’au 28 juillet.

Prospero, duc de Milan déchu et contraint à l’exil par son frère, de mèche avec le roi de Naples, a préparé minutieusement sa revanche pendant des années. Aussi, lorsque le vent souffle le bateau du roi vers l’île où Prospero s’est échoué avec sa fille douze ans plus tôt, déclenche-t-il une tempête énorme qui précipite le navire et son équipage sur les rivages. La vengeance sera de songes et d’illusions. Soutenue tout en musique par la multi-instrumentiste Annelise Clément, la rêverie est agréable.

Marionnettes et comédiens se partagent ici la scène tandis que Prospero manipule à sa guise les uns et les autres. Le Prospero de Jean-Louis Wacquiez a bonne voix, on sent en lui le sang noble et le contrôle qu’il exerce sur ses émotions. Quant aux marionnettes qui représentent la cour de Naples et l’équipage du navire, elles sont graciles et belles, mais paraissent figées entre les mains des comédiens; elles manquent de vie par moments. Le fait qu’un même comédien en manipule deux à la fois nuit sans doute à leur mobilité. De même, les longues jambes gracieuses des marionnettes les empêchent de bien marcher.

La tempête de la compagnie Nomades, dans une mise en scène classique, ne révolutionne pas le genre, mais offre tout de même un bon moment dans le monde bien shakespearien de la vengeance et de l’illusion.

Le Maître et Marguerite © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

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LE MAÎTRE ET MARGUERITE
Cour d’honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon

Cette première journée s’est achevée sur une grandiose fresque à la Cour d’honneur du Palais des Papes, Le Maître et Marguerite. Le texte de l’écrivain russe Mikhaïl Boulgakov, mis en scène par Simon McBurney, éclate en images vibrantes dès les premières minutes du spectacle, éclaboussant les trois immenses murs d’enceinte de la Cour d’honneur. Ces murs s’animent au fil de la représentation, se construisent et s’écroulent tour à tour, se jouant de nos sens pour mieux nous précipiter dans l’enfer vécu par les personnages.

Seize comédiens sur scène et une incroyable machine derrière assurent la cohésion de l’histoire tandis que sa trame nous emporte du 20e siècle au début de l’ère chrétienne. Etroitement entremêlées, la tragique histoire d’amour entre le Maître et Marguerite, et la rencontre entre Ponce Pilate et celui que l’on nomma plus tard Jésus Christ, traitent de foi et de pardon, du Bien et du Mal, de Dieu et de Satan.

Le metteur en scène n’hésite pas à recourir aux technologies multimédias pour situer l’action dans le temps et l’espace. Images d’archives, portraits de grands hommes ou de dictateur, façades de monuments et plans satellite de villes s’animent en fond de scène. Des caméras sur scène captent certains moments et les magnifient en les superposant sur les murs. Ainsi, d’un enchevêtrement de chaises couchées au sol, les comédiens créent un cheval sur lequel le Maître et Marguerite cavalcadent dans le ciel. Les spectateurs en ont plein les yeux. Sollicités de toutes parts, il leur est difficile de suivre l’action, la réflexion et le mécanisme tout en lisant les surtitres (la pièce est présentée en anglais). Il faut le dire, le rythme imposé par le Diable en personne est… infernal.

Dans la grande salle et sous le ciel tout aussi immense, la troupe a fort à faire pour occuper l’espace, structuré au sol par des lignes de lumières, façon Dogville. Elle s’en tire avec tous les honneurs, valsant sur une partition très précise, et nous transporte du palais de Ponce Pilate à un hôpital psychiatrique. Au centre de cette histoire trône la figure de Satan qui s’adresse aux personnages tout autant qu’aux spectateurs pour les questionner : depuis la crucifixion de Jésus, le monde a-t-il vraiment changé, l’homme n’est-il pas le même qu’autrefois?

C’est avant tout la grande histoire d’amour entre le Maître et Marguerite qui fait vibrer la corde sensible, un amour qui se révèle plus fort que la mort et la folie. Les questions posées par le texte s’imposent dans un deuxième temps, bien après la fin du spectacle, tandis que les images reviennent se superposer aux émotions ressenties.

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