par Daphné Bathalon

Ces jours-ci, les finissants de l’École nationale de cirque prennent d’assaut l’arène de la Tohu pour démontrer tout leur savoir-faire. On dit souvent que le Québec regorge de talents dans les arts circassiens, et on a totalement raison de l’affirmer ; il suffit de voir aller les jeunes artistes de cette promotion pour s’en convaincre. La cohorte, divisée en deux groupes, présente des spectacles bien distincts, mais qui tournent tous deux autour du thème du couple, quoique de manière différente. Samedi dernier en après-midi, de nombreux spectateurs ont pu assister, coup sur coup, aux représentations de Pour le meilleur et pour le pire, une création signée Alain Francoeur, et La vie en swing, signée Sharon Moore. L’une et l’autre donnent la chance à ces artistes de briller. Et de quel éclat!

© Roland Lorente

Avec Pour le meilleur et pour le pire, Alain Francoeur (aussi metteur en scène pour le Cirque Alfonse et le Cirque Éloize) a conçu un spectacle esthétiquement léché, habillant de blanc tant la scène que ses artistes. Le spectacle nous convie à la plus belle des fêtes : la noce! L’énergie des diplômés est contagieuse. Danse, musique, banquet, tout y est pour faire lever la fête. Les marches de l’église (un gigantesque escalier en fond de scène) deviennent une improbable piste de danse, et l’officiant lui-même se transforme en noceur, finissant bien malgré lui en petite tenue. Le spectacle déconstruit de belle manière le sacre du mariage en présentant, sous la loupe des arts du cirque, les traditions qui y sont liées, depuis l’arrivée des invités, les bras chargés de cadeaux, jusqu’à l’immense gâteau de noce en passant, bien sûr, par le voile de la mariée.

Le maître mot de cette production est sans nul doute le plaisir. Dans l’arène de la Tohu, jongleurs, clowns et acrobates conjuguent leurs efforts, le sourire aux lèvres, pour impressionner le public et l’entraîner dans leurs danses. La majorité des numéros sont bien exécutés, certains se distinguent néanmoins du lot. Au milieu de la fête, François Bouvier et Katharina Droescher offrent un joli duo au fil de fer, tout de grâce et de légèreté. À la corde lisse, Pier-Olivier Doucet maîtrise manifestement son art; bien que son interprétation manque par moments d’intensité, il manie avec adresse les effets de chute et les contorsions. Mais c’est véritablement les deux danseurs aériens Pierre-Antoine Chastang et Morgane Tisserand qui volent la vedette avec le numéro final, au trapèze. Leur danse, féline et symbiotique, accroche le cœur des spectateurs quelque part entre ciel et terre. Le public peut d’autant mieux apprécier la chimie entre les deux artistes qu’ils se retrouvent seuls en scène, alors que pendant tout le spectacle l’agitation a été constante sur scène. D’ailleurs, bien que cette agitation illustre parfaitement la noce, la multiplication des actions simultanées dans l’arène détourne souvent l’attention du public du numéro présenté. Le spectateur ne sait plus où regarder!

Pour le meilleur et le pour le pire affiche clairement sa préférence pour les chansons kitschs des années 1970 à 1990 avec des titres populaires et accrocheurs comme Paroles, Paroles, Macho Man, 3e sexe et Barbie Girl; de quoi nous faire taper du pied et nous donner envie de chanter avec les artistes. Il manque cependant au spectacle une petite étincelle d’énergie de groupe et une certaine cohésion entre les numéros pour véritablement lancer les célébrations et entraîner le public au coeur des festivités.

Certains défauts transparaissent, mais qui ne minent heureusement pas la qualité du spectacle et ne nuisent aucunement aux talents des artistes. De légers défauts néanmoins, que le second spectacle, La vie en swing, évite habilement.

© Roland Lorente

Cette production-ci, dont le style et le ton ne sont pas sans rappeler les films Chicago et Moulin rouge, bombarde le public d’images et d’émotions. En quelques instants, on plonge dans les années 1940, au Québec, alors que de jeunes pilotes vivent dans l’insouciance, tirant profit de leur statut de militaires pour charmer les filles… Du moins jusqu’à ce que la réalité les rattrape quand on les arrache des doux bras de leurs copines pour les envoyer au front. La vie en swing nous fait voyager en quelques pas de danse du Québec à la France, des passages plus sombres de la guerre aux scènes de vie lumineuses.  Le décor, très mobile, permet de nombreux arrangements scéniques, toujours créés par les mouvements de groupe des interprètes.

La conceptrice et chorégraphe torontoise Sharon Moore a su tirer le maximum de ses artistes, tant des jongleurs que des acrobates aériens, liant leurs talents pour raconter l’amour en temps de guerre. Dès les premiers instants, tandis que les artistes reproduisent les mouvements d’un escadron en plein ciel, on est transporté dans l’ambiance de l’époque, où les espoirs de la jeunesse, son envie de fêter et de s’éclater sur les pistes de danse ou au cinéma, se heurtaient à la dure réalité de l’usine d’armements et de la perte d’êtres chers. Le spectacle marie magnifiquement les bandes sonores des années 1940, (swing américain ou musette française) et les images de films d’époque projetées en toile de fond, mais qui paraissent parfaitement intégrées à l’histoire. Le spectacle déploie aussi tout un arsenal d’éclairage pour suggérer l’angoisse de la guerre en recréant, par exemple, les protections anti-aériennes ou la progression des soldats dans le noir après le débarquement.

Entre amour et guerre, la vie continue pour les jeunes pilotes. La légèreté du premier numéro, un numéro de charme à vélo fort bien exécuté par Maxime Poulin, fait sourire, tandis que les numéros suivants nous montrent la face plus sombre du couple : la peur de l’engagement, d’avoir des enfants, de perdre son amour, d’être oublié… et de la mort. Malgré l’apparente noirceur du sujet, le spectacle propose des numéros plus drôles, comme ce délirant numéro de fil de fer où des bébés envahissent la scène, et des numéros plus poignants comme les acrobaties au sol sous les bombardements ou cet émouvant (et impressionnant!) numéro de sangles aériennes qui clôt magnifiquement le spectacle.

Il y a dans La vie en swing un véritable esprit de corps chez les artistes, qui semble tirer leur force de ceux qui les entourent. Les mouvements de groupe au sol apportent la majorité du temps un réel soutien à l’artiste en performance. Portés par ce souffle, les diplômés donnent le meilleur d’eux-mêmes. Au trapèze ballant, les sœurs brésiliennes Giuilia et Lucia Tateishi Destro impressionnent par leur maîtrise de l’engin et leur parfaite symétrie. Le main à main de Renaldo Williams et Naomie Zimmerman-Pichon, en jeunes mariés, allie grâce et intensité, aimantant le regard du public. Seule faiblesse du spectacle : on remarque quelques imprécisions dans les numéros de danse, surtout lorsque le tempo du swing accélèrent, certains artistes ont le pas plus hésitant. Qu’à cela ne tienne, l’énergie qui se dégage du groupe compense largement pour cette faiblesse, nous entraînant irrésistiblement à la suite des jeunes hommes et femmes sur la piste de danse.

Dans La vie en swing, les êtres se cherchent, l’amour se trouve, et l’âme danse entre les bombes, avec la mort. Une production merveilleusement chorégraphiée dont la beauté des numéros exaltent les passions de la jeunesse.

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