Par Daphné Bathalon

« Ça tient simplement de la logique. La LNI étant la ligue mère, il m’a toujours paru évident que nous devions innover sans cesse pour assurer l’évolution et le développement du match d’impro. [­…] Nos saisons sont courtes. Nos artistes sont occupés. Les tentatives d’innovations sont là, mais les occasions ne sont pas assez nombreuses. Nous avons donc décidé de créer l’occasion. Ces laboratoires sont une amorce de réflexion pour essayer de pousser ce jeu plus loin, de faire avancer la pratique. » C’est en ces mots que le directeur artistique de la ligue présente la démarche qui sous-tend les trois laboratoires donnés par le Théâtre de la LNI.

Agacé de voir les idées prendre le pas sur les états émotifs, le comédien Jean-François Nadeau, animateur du deuxième de trois laboratoires, a décidé de se pencher sur les émotions : «Comment improviser sans être esclave de ses idées?». Une soixantaine d’amateurs d’improvisation et six joueurs se sont réunis le samedi 25 avril au deuxième étage d’Espace Libre pour lancer des pistes de réflexion à ce sujet.

laboLNI

De banc des joueurs au banc d’essai

Crédit photo Richard Mercier
Crédit photo Richard Mercier

Après une séance de relaxation par la respiration, le maître de laboratoire a proposé à ses six joueurs cobayes de se concentrer sur une seule émotion prédominante en eux en cet instant et d’improviser à partir de celle-ci. François-Étienne Paré (une sorte de mélancolie), Salomé Corbo (anxiété), Simon Rousseau (malaise), Mathieu Lepage (enthousiasme fébrile), Simon Boudreault (agacement) et Anne-Élisabeth Bossé (culpabilité) se sont prêtés avec générosité à l’exercice, quoiqu’ils se soient montrés très hésitants au départ, abordant le jeu avec une grande retenue.

Dans une première improvisation, François-Étienne Paré et Simon Boudreault ont paru figés par les directives du maître de laboratoire, tellement centrés sur leur émotion que la construction de l’impro en a souffert. L’impro, alourdie par les émotions négatives des deux joueurs, ne s’est allégée qu’avec l’irruption de l’enthousiasme fébrile de Lepage. Salomé Corbo, Anne-Élisabeth Bossé et Simon Rousseau ont pour leur part osé plus de structure dans leur impro en faisant tourner leurs émotions autour d’un enjeu : la mort d’un chien. La tristesse à fleur de peau (pleine de culpabilité du côté de Bossé et d’angoisse du côté de Corbo) des deux actrices s’est trouvée bien encadrée par les tentatives de réconfort de Rousseau. On se rapprochait cette fois d’une impro telle qu’on peut en retrouver dans un match régulier avec une sensibilité certaine en plus.

Crédit photo Richard Mercier
Crédit photo Richard Mercier

L’émotion comme sous-texte

Dans un deuxième temps, le maître de laboratoire a enjoint à ses joueurs de garder leur émotion secrète, en la transformant en sous-texte pour l’histoire. C’est toutefois avec un troisième exercice que le laboratoire a commencé  à produire des impros plus substantielles, lorsque Nadeau a proposé aux joueurs de lier leur émotion, à présent intériorisée, à un événement récent. À partir de ce moment, les cobayes ont paru se sentir plus libres d’écrire des histoires et surtout moins limités par leur émotion. C’était particulièrement évident avec la toute dernière improvisation, entre Simon Rousseau et Simon Boudreault, autour d’une mangeoire à oiseaux qui n’attirait aucun oiseau… Une improvisation pour laquelle il aurait été bien difficile de déterminer un gagnant!

La question de la performance, voilà justement un facteur qui n’est pas entré en ligne de compte dans ce laboratoire, bien que rapidement évoqué en discussion à la fin. Lors d’une partie, les joueurs cherchent à mener l’impro, à en contrôler le flot, ou à tout le moins à ne pas se laisser totalement porter par celui-ci, afin de marquer des points auprès du public. Cette volonté pousse sûrement en partie les joueurs à privilégier les idées, les répliques punchées au détriment des états émotifs, surtout devant un public souvent plus intéressé à rire qu’à être ému, interpellé ou impliqué émotionnellement, comme le soulignaient quelques joueurs en discussion.

Commentaires d’après-labo

Invités par Jean-François Nadeau à se prononcer sur l’expérience qu’ils venaient de vivre, les joueurs ont d’abord mentionné cette pudeur qu’ils avaient eue à se servir de l’émotion et à la mettre en scène. Boudreault a même avoué avoir fait preuve d’une censure volontaire lors des premiers exercices pour ne pas verser dans la narrativité. Quelques personnes du public ont également mentionné cette pudeur (un malaise pour certains) face aux émotions personnelles exprimées par les joueurs dans les premières impros. Anne-Élisabeth Bossé a pour sa part souligné avoir très vite amené l’idée d’un chien mort dans sa première impro par besoin d’un contexte pour canaliser son émotion dans le jeu, pour l’ancrer dans quelque chose de plus concret.

Exercice intéressant, ce deuxième laboratoire de la LNI n’a peut-être pas permis de déterminer si l’improvisation menée par les émotions proposerait des histoires plus percutantes ou pertinentes, mais il aura apporté des pistes de réflexion et des outils qu’il serait très intéressant de voir réutilisés par les joueurs lors de prochaines joutes d’impro à la LNI!

Le troisième et dernier laboratoire proposé cette année aura lieu le samedi 30 mai à 19h30 et s’intéressera à la source : « Est-ce vrai qu’une situation de départ annonce toujours le même type de fin? ». En savoir plus.

Crédit photo Richard Mercier
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