(CIRQUE) Il Ritorno – L’exil au corps
Depuis le temps, on en a l’habitude : chaque visite à La TOHU est une invitation à plonger dans l’inconnu et la découverte. En effet, bien souvent, chaque spectacle a sa couleur, bien particulière, son style et son univers. C’est le cas du spectacle Il Ritorno, de la compagnie australienne Circa. L’étonnante production nous propose un mélange de genres, entre cirque, danse, musique et opéra, le tout en nous racontant le retour d’Ulysse à Ithaque, après 20 longues années d’exil, et ses retrouvailles difficiles avec son épouse, Pénélope.
Quelques jours avant la première, le directeur artistique de la compagnie, Yaron Lifschitz, s’avouait nerveux de présenter la production au Québec, terreau fertile des arts circassiens et d’artistes de grande renommée. Pourtant, Il Ritorno, qui prend ses racines dans l’opéra Le retour d’Ulysse dans sa patrie (Il Ritorno d’Ulisse in Patria), de Monteverdi, a tout pour séduire en prenant à contrepied les attentes du public québécois, grand amateur de cirque.
Le spectacle propose quelque chose de radicalement différent de ce que font d’excellentes troupes comme Les 7 doigts de la main, le Cirque Alfonse ou le Cirque Eloize, pour n’en nommer que quelques-unes. Il Ritorno propose très peu de numéros de haute voltige et se rapproche beaucoup plus de la danse en se concentrant sur l’émotion pure que peut provoquer chez le spectateur la force des corps en mouvement. Il y a bien sûr quelques numéros de prouesses physiques : notons l’exceptionnel numéro de contorsionniste lors duquel les artistes « forcent » le corps de l’un des leurs dans des positions dont il doit ensuite se libérer, ainsi que l’un des derniers numéros d’acrobatie qui illustre magnifiquement la réunion douloureuse d’Ulysse et de Pénélope.
Les corps des artistes sont au centre de cette production, tandis qu’on les voit lutter contre la gravité, y échapper un court instant ou y céder en s’écrasant violemment au sol. Soulevés par les uns, plaqués au sol par les autres, ils sont tantôt tendus vers un ailleurs, rappelant l’exil forcé de millions de gens dans le monde, tantôt désarticulés, en perte de contrôle sur eux-mêmes. Ici, la beauté des costumes, dont les drapés évoquent les toges de la Grèce antique, souligne la beauté de ces corps alors que la beauté de l’opéra magnifie leur histoire. Les chants (en italien) semblent si bien s’intégrer au récit qu’on aurait aimé pouvoir en comprendre le sens, mais qu’à cela ne tienne, on se laisse porter.
Comme souvent au cirque, le public fait corps avec les artistes, mais Il Ritorno fait plus en s’offrant totalement, d’un seul souffle, forcément épique. Les tableaux s’enchaînent, imbriqués les uns dans les autres dans une succession de contorsions et de déracinements. Spectacle exigeant, Il Ritorno nécessite néanmoins beaucoup de concentration de la part du public de cirque, plus habitué à une satisfaction immédiate et à des numéros impressionnants qu’à une proposition plus contemplative. La production de Circa joue de lenteur, laisse respirer la musique (en partie jouée par trois musiciens et deux chanteurs lyriques sur scène) et déroute le spectateur autant qu’il le fascine.
Il Ritorno propose un mariage à la fois solennel et organique des corps, de la voix et de la musique pour offrir un spectacle de cirque hors-norme et inspirant.