Mononk Jules : Héros tragique nimbé de failles
Mononk Jules : Héros tragique nimbé de failles
Entre le monologue et le théâtre documentaire, Mononk Jules relate le parcours du Huron-Wendat, Jules Sioui, un homme plus grand que nature qui, au 20e siècle, a lutté pour l’autodétermination des peuples autochtones afin qu’ils parviennent à s’affranchir de l’hégémonie qu’exercent sur eux les autorités politiques canadiennes. Mais comme rien dans la vie n’est jamais tout à fait noir ni tout à fait blanc, l’auteur, metteur en scène et interprète de la production, Jocelyn Sioui, pressent que les actions militantes de son grand-oncle lui ont aussi servi à s’affranchir de ses propres démons et à se racheter auprès d’un Dieu qu’il respectait et vénérait.
Complexe et fascinante comme son protagoniste, l’histoire de Jules Sioui, qui est presque littéralement tombée dans l’oubli, est livrée par bribes. Le comédien effectue de multiples retours en arrière et sauts en avant dans la chronologie des faits pour mettre le récit en contexte. La première partie intitulée « Traces » permet d’entrer dans l’univers de la famille Sioui, de cerner les principaux épisodes qui ont marqué l’existence du grand-oncle Jules et balisé celle des peuples autochtones du Québec et du Canada. La seconde partie intitulée « Crois ou meurs » creuse les événements et esquisse une aura de héros tragique nimbé de failles autour du personnage. Sorte de Gandhi des Premières Nations, Jules Sioui (Tsei8ei en langue wendat) est adepte de la non-violence et de la désobéissance civile. Comme le Mahatma indien, il entreprend dans les limites de son combat une longue grève de la faim afin de faire valoir les droits des Autochtones, alors même qu’il est retenu prisonnier pour ses idées.
Le texte de Jocelyn Sioui est riche et touffu, parsemé d’interrogations, d’observations et de réflexions d’une incontestable intelligence. Il est également saupoudré d’humour et de bienveillance. Aucun quatrième mur ne se dresse entre le public et le comédien qui s’adresse directement aux spectateurs, lesquels peuvent interagir avec lui. La salle est subtilement éclairée, ce qui renforce l’esprit de communion avec la scène. La communication est à double sens : le public ne fait pas que voir et écouter, il est aussi vu et entendu.
Dès le début de la pièce, la scénographie de Mélanie Baillairgé lève toute ambiguïté. Les trois écrans qui meublent le décor laissent présager un apport vidéographique évident, orchestré par Gaspard Philippe. De plus, les nombreuses boîtes d’archives qui s’empilent sous les écrans témoignent de l’important travail de fouille et de recherche effectué par l’auteur pour retrouver les traces périssables du passé. Mais ces boîtes renferment également de belles surprises sur le plan de l’esthétique théâtrale. En émergent des décors miniatures et des marionnettes qui ponctuent le récit et qui, par le biais d’un éclairage de fortune, génèrent des jeux d’ombres sur les écrans. Une table ronde au centre du plateau évoque l’âme des rassemblements autochtones et une imposante pile de documents, construite pour servir de siège, complètent le tableau.
La musique rappelle les années 1940-1950, les beaux jours des crooners et des comédies musicales. C’est aussi l’époque des Automatismes et du Refus global dont les signataires auraient soutenu le mouvement amorcé par Mammouth Jules comme le surnomme son petit-neveu. La mise en scène de Jocelyn Sioui est sobre et épurée. Elle met en valeur le texte qui est teinté par un profond désir de justice et de vérité. Et la vérité, même celle qui perturbe et qui pourrait expliquer en partie l’amnésie dont Jules Sioui a fait les frais, n’est pas tue. Le seul bémol à cette soirée de première était la salle à moitié remplie du Théâtre Périscope dont tous les fauteuils auraient dû vibrer avec l’interprète. Le sujet ou le genre de la pièce peuvent sembler arides de prime abord, mais rien de tel avec cette œuvre. Preuve en est, la longue ovation debout que le public présent a réservé à un Jocelyn Sioui ému d’avoir pu partager ce moment avec des gens de Québec, près du lieu où son grand-oncle a longtemps vécu et terminé ses jours, amoindri, loin des éloges et de la gloire.
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Calendrier
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Du 8 au 18 décembre 2021
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