Cyclorama : Fascinante leçon d’histoire et début d’un dialogue

Cyclorama : Fascinante leçon d’histoire et début d’un dialogue

Depuis ses années d’études à l’École nationale de théâtre/National Theatre School of Canada, où les volets francophones et anglophones ne se mêlaient pas, Laurence Dauphinais s’interroge sur ce qui sépare encore aujourd’hui les deux milieux culturels, à Montréal, qu’on dit pourtant si cosmopolite. On se partage une île et une histoire, mais que sait-on vraiment l’un de l’autre au-delà des clichés? On s’ignore au quotidien, ne fréquentant ni les mêmes auteurs, ni les mêmes lieux, ni les mêmes artistes. Pourquoi cette vie en parallèle?

Cyclorama, nouvelle création de l’autrice, actrice et metteuse en scène, explore des pistes de réponse à cette question, qui va au-delà de la division linguistique, en revisitant l’histoire et les souvenirs personnels. La production bilingue en trois actes se déguste comme une passionnante leçon d’histoire théâtrale, servie sur les chapeaux de roue en première partie par les universitaires Alexandre Cadieux (UQAM) et Erin Hurley (McGill). Suivant un « rigoureux » protocole de recherche raisonnée, les experts en études théâtrales réalisent rapidement la limite de leurs connaissances sur l’un et l’autre « côté » de l’histoire. Ensemble, parfois bousculés par les interruptions de Laurence Dauphinais et du comédien montréalais d’origine libanaise Antoine Yared, exilé à Stratford depuis 10 ans, ils entreprennent de présenter le contexte dans lequel le théâtre a pris racine à Montréal. Ou plutôt les théâtres, puisqu’anglophones et francophones sont encore retranchés dans leurs institutions de part et d’autre du boulevard Saint-Laurent. Ce n’est pas sans raison que la production promène physiquement le public du Centaur Theatre, fondé en 1969 dans une ancienne bourse de commerce, au Théâtre d’Aujourd’hui, né en 1968 dans un bâtiment d’arrière-cour du Centre-Sud, en remontant la Main, frontière historique entre le Montréal anglophone et le Montréal francophone. Dans la salle comme sur la scène, les deux solitudes se retrouvent ainsi côte à côte.

Cyclorama, Antoine Yared et Laurence Dauphinais, crédit Valérie Remise

Didactique sans être lénifiante, Cyclorama a le grand mérite de rendre digeste une montagne de faits, de dates et de noms en les liant avec beaucoup d’humour, de références communes aux deux publics (bien que les points de vue sur les événements divergent), d’éléments visuels et de témoignages personnels de Laurence, puis d’un Antoine très réticent. La pièce livre au passage des morceaux choisis et significatifs pour les cultures anglos et francos, dont le marquant Speak White (1968) de Michèle Lalonde, que la pièce contrebalance avec Speak What (1989) de Marco Micone, le Balconville bilingue de David Fennario, et même la poésie de Shakespeare, sans doute un des auteurs qui unit le plus les deux communautés… malgré la faiblesse de certaines traductions. On en aurait voulu plus!

Avec son sens de l’autodérision toujours aussi divertissant, Dauphinais signe un spectacle de trois heures sans temps mort, outre les moments de flottement lors des changements de lieu. Un spectacle qui nous fait passer de l’histoire avec un grand H à l’intime dans une valse qui place l’échange de perspectives et de ressentis au coeur de sa réflexion. Notre ignorance de l’autre communauté a mené à la méfiance, puis à une certaine forme d’indifférence, confortable peut-être, mais qui nous coupe d’une formidable force culturelle, assise sur des décennies de création artistique dans des théâtres aux influences diverses. Cyclorama nous propose de laisser tout antagonisme aux portes des théâtres sans pour autant oublier d’où l’on vient. Et l’espace de la représentation, elle crée un moment où il est possible de discuter, d’apprendre, bref, de se mettre un peu dans la peau de l’Autre.

Que ce soit dans le décor réaliste du Centaur, dans le bus de ville le long de Saint-Laurent ou dans le décor abstrait du Théâtre d’Aujourd’hui, Cyclorama offre un tour d’horizon certes sommaire en raison du temps imparti, mais la production met la table pour pousser la réflexion plus loin. Maintenant que l’on comprend mieux l’origine de cette division historique, comment abattre les murs qui nous séparent toujours? Comment aller à la rencontre de l’autre?

Cyclorama, du 11 octobre au 5 novembre 2022, Centaur Theatre + CTD’A

Crédit photo Valérie Remise

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