L du déluge : Comme un parfum de fin du monde

L du déluge : Comme un parfum de fin du monde

C’est dans la matière dense de la mythologie grecque, mais aussi mésopotamienne que Marilyn Daoust et Gabriel Léger-Savard plongent pour nous présenter leur deuxième collaboration, L du déluge. Présentée seulement quelques soirs à La Chapelle – Scènes contemporaines, la production fascine autant qu’elle déroute, mêlant danse, théâtre et poésie.

Ariane perd tous ses repères quand son amoureux est expulsé du pays, s’enfonçant dans un marasme mortifère tandis que tout continue de s’agiter autour d’elle. À la dérive dans une ville aux contours devenant flous, elle s’avance au détour des rues (« Si tu t’arrêtes, tu meurs ») jusqu’au fleuve barré puis dans la débauche d’un party où se mêlent les excès aussi bien que les êtres mythologiques et les coeurs brisés.

Entourée d’un choeur qui fait corps et écho à son épopée émotionnelle, Ariane erre entre souvenirs chaleureux et éloignement, au fil de correspondances qui sonnent de plus en plus éloignées et étrangères. D’abord trimballée comme si sa volonté lui avait été enlevée, puis de plus en plus combative, cette Ariane incarnée avec justesse et retenue par Leila Donabelle Kaze nous entraîne dans son deuil amoureux. C’est à elle qu’on se raccroche dans une production bruyante et agitée, où la musique techno et le choeur noient par moments le fil d’Ariane qu’on tente de suivre.

Le L du déluge est cette héroïne résiliente, qui se dresse soudain contre les flots prêts à l’emporter, celle qui se tient droite au centre d’une nuée de corps en mouvement. Les chorégraphies semblent ouvrir l’espace, porter l’amour, le désespoir puis la résistance d’Ariane dans des charges poétiques qui misent sur la multiplication des voix et des corps.

La production, qui met en scène 12 artistes, déborde en effet de références littéraires et de symboles, au point où on en a la tête qui bourdonne. Comme Ariane, on se laisse alors porter par la musique vrombissante et les (très beaux) éclairages colorés de Joëlle LeBlanc, dans une scénographie dépouillée aux allures industrielles. Dans ce déferlement de sons, de couleurs, de mouvements et même de textures – les costumes eux-mêmes contribuent à l’impression de surenchère – les mots répétés par les membres du choeur manquent de force.

L du déluge est une production enracinée dans l’intime, celle du deuil d’un amour, mais charroie tout le poids d’une société qui ne sait plus où chercher un grain d’espoir dans le paysage désolé d’une société qui se dirige volontairement vers le gouffre. Cette belle collaboration de Daoust, à la mise en scène et aux chorégraphies, et de Léger-Savard, à la mise en scène et aux textes, est cependant alourdie par la tempête de mots et de symboles, sa charge émoussée par le déluge qui s’abat sur nos sens.

L du déluge, présenté à La Chapelle – Scènes contemporaines du 28 novembre au 6 décembre 2022

Crédit photo David Wong

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