Box Exp. : une dystopie futuriste

Box Exp. : une dystopie futuriste

Box Exp. est une œuvre du Collectif Bleu, un groupe ad hoc de jeunes artistes formé pour mener à terme le projet de création et de diffusion d’une pièce de théâtre qui touche à des préoccupations actuelles transposées dans un avenir proche. La production présentée à Premier Acte se décline en cinq tableaux qui traitent notamment des répercussions, voire des perturbations, que les moyens technologiques de plus en plus raffinés ont sur les êtres humains, comment ils influent sur leur quotidien et orientent leurs façons d’interagir.

Dans cette dystopie futuriste, l’autrice, metteure en scène et comédienne Lauriane Charbonneau ainsi que le co-metteur en scène Samuel Bouchard posent un regard critique et sarcastique, parfois un peu naïf, mais irrémédiablement alarmant, sur les avancées du métavers, l’omniprésence des réseaux sociaux et l’intervention des assistants virtuels qui dénaturent la réalité, contrôlent les communications et dictent les règles. Box Exp. effleure également des problématiques en lien avec les progrès de la médecine, la culture de cellules souches prélevées sur des fœtus, l’éthique et la difficile appropriation du langage épicène qui semble encore d’actualité en l’an 2055, alors que l’air ambiant est devenu irrespirable et que des clones « robotisés » luttent pour leur survie.

Bref, la pièce embrasse large et pas toujours avec clarté, particulièrement dans le dernier tableau, le plus long et le plus complexe des cinq. Dans cette scène où on annonce que le public – à tout le moins une certaine partie du public – est appelé à se prononcer, par l’intermédiaire de son téléphone portable, sur le développement de l’action et le sort réservé aux protagonistes, la logistique et les résultats de cette opération restent un peu nébuleux. Il en est de même dans le premier tableau, lorsque l’animateur s’écroule par terre au terme de l’entrevue qu’il mène avec une influenceuse connue.

Crédit photo David Mendoza-Helaine

Les tableaux deux et quatre sur les bons choix sont cependant particulièrement réussis, proposant une version amplifiée, effrayante et hilarante de réalités actuelles. Qui n’a jamais été tiraillé entre sa volonté de manger sainement, de prendre des décisions écologiques et ses capacités financières de le faire ? Qui n’a jamais eu l’immense bonheur de se faire répondre cavalièrement au téléphone par une gentille voix informatisée qui ne comprend strictement rien à la situation qu’il vit ? Le service à la clientèle touche le comble de l’aberration lorsque, dans la pièce, une assistante virtuelle transmet au personnage les consignes pour réaliser sa propre intervention chirurgicale. Après l’autodiagnostic et l’autoguérison sur le Net, Box Exp. propose, avec l’auto-opération téléguidée, un moment absurde et hilarant !

Sur le plan des décors (Alice Poirier) et des costumes (Géraldine Rondeau), les membres du Collectif Bleu ont effectué, avec les moyens du bord, une recherche de sens qui fait écho aux thèmes de l’œuvre. L’espace de jeu est central et le public se situe de chaque côté d’un plateau rectangulaire où sont dressées des structures cubiques de métal recouvertes de rideaux blancs manipulés au gré des besoins et qui servent également d’écran pour les projections vidéo (Émile Beauchemin et Vincent Paquette). La bande sonore (Pierre-Olivier Roussel) est omniprésente dans cette œuvre et la voix immatérielle de Leila (Mary-Lee Picknell), l’assistante virtuelle qui se manifeste dans tous les tableaux, incarne l’ubiquité de cette entité dans toutes les sphères d’activité.

On comprend à la façon dont les personnages se positionnent dans le décor, notamment dans le premier, troisième et cinquième tableau, que l’existence est compartimentée, que les relations directes entre les vivants sont rares, pour ne pas dire moribondes, que la solitude est patente. Toutefois, du point de vue des spectateurs, cette utilisation de l’espace crée un problème. Une moitié du public est toujours privée d’une partie de l’action, à cause de l’importante architecture scénographique qui obstrue la vue. Ainsi, dans l’épisode intitulé « La rencontre exp. », un côté de la salle suit les péripéties de l’animateur-vedette Mec (Clément Desbiens) alors que l’autre côté de la salle a accès aux réactions de l’influenceuse gauchiste Érika Sims (Gaïa Cherrat Naghshi). Il est difficile, voire pratiquement impossible, d’avoir le portrait global de la situation dans ce genre d’expérience scénographique, ce qui est un peu frustrant.

Malgré quelques faiblesses, Box Exp. concrétise une vision intéressante de la réalité virtuelle, de l’évolution des moyens technologiques et de l’avenir de l’humanité telle que la conçoivent les jeunes artistes qui ont participé à cette production. Le parti pris des membres du Collectif Bleu est sans équivoque dans cette pièce où les TikToK et Instagram de ce monde passent au moulinet de la caricature.

Box Exp. présenté à Premier Acte du 29 novembre au 10 décembre 2022

Crédit photo David Mendoza-Helaine

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