Insoutenables longues étreintes : rêve fiévreux

Insoutenables longues étreintes : rêve fiévreux

Pour sa première mise en scène au Théâtre Prospero, le nouveau directeur artistique Philippe Cyr s’est tourné vers l’écriture singulière du Russe Ivan Viripaev, auteur dissident et exilé dont les pièces sont désormais interdites dans sa mère-patrie, mais un auteur régulièrement présenté au théâtre de la rue Ontario (Les enivrés, Illusions).

Dans Insoutenables longues étreintes, Christophe, Amy, Monica et Charlie, jeunes trentenaires originaires d’Europe de l’Est ou de New York, vivent leur vie en nageant dans un brouillard existentiel jusqu’au jour où une faille se crée dans leur univers. Ils mènent alors une quête frénétique de plaisir et de sens, mais sans point d’ancrage, leur quête ressemble à s’y méprendre à une errance. Ils errent à la recherche de repères auxquels s’attacher, que ce soit par le sexe, l’amour, la violence ou la drogue, mais s’enfoncent en même temps dans une spirale autodestructrice.

Insoutenables longues étreintes a toutes les allures d’un rêve fiévreux dont le sens file entre nos doigts par moments avant de redevenir d’une grande clarté, sous des formes chaque fois inattendues. Les personnages y décrivent leurs actions à la troisième personne, comme détachés de leur propre corps, avant de replonger dans leurs émotions à vif ou de plonger dans un espace indéfini d’où des voix leur parviennent. La production nous maintient sur un mince fil narratif qui ne cesse de valser sous nos pieds. Le récit de cette pièce, fait d’étranges circonvolutions et de répétitions, a sans doute représenté son lot de défis pour l’équipe de création, qui s’en tire pourtant avec les honneurs ; la production du Prospero est aussi déroutante que fascinante.

Pour faire entendre l’écriture scénique insolite de Viripaev, Philippe Cyr a misé sur la polyvalence de sa distribution. Le metteur en scène offre ainsi l’occasion à ses quatre interprètes de briller ; ce qu’ils font d’ailleurs littéralement dans leurs costumes à paillettes, sous les magnifiques éclairages de Cédric Delorme-Bouchard qui n’a pas eu peur d’oser la couleur. Sur le grand plateau tournant dénudé au centre de la scène, Christine Beaulieu (Monica), Marc Beaupré (Charlie), Joanie Guérin (Amy) et Simon Lacroix (Christophe) naviguent avec aisance dans une écriture fluide qui alterne les moments d’introspection, les dialogues (parfois avec des entités surnaturelles), les questionnements existentialistes et la narration. En un instant, ils passent d’une émotion exacerbée au point de torturer leur corps à une description détachée, un style imprévisible et déroutant qui fait rire à plusieurs reprises, mais qui se révèle aussi très efficace pour créer un effet de flottement. Comme les personnages eux-mêmes qui se mettent à entendre des voix, le public divague entre quotidien et révélations spirituelles. Beaulieu, Beaupré, Guérin et Lacroix font la démonstration de la maîtrise de ce texte exigeant, plus dense qu’il en a l’air, en jonglant habilement avec cette partition tout en ruptures de ton.

Servi sur un plateau par un quatuor virtuose, ce récit de trentenaires en quête de sens ne ressemble en rien à ce qu’on a pu voir cette saison sur nos scènes et il nous laisse la tête pleine de doutes. Au moment d’écrire ces lignes, il reste quelques places en supplémentaires pour en profiter, tout le reste affiche complet!

Insoutenables longues étreintes, au Théâtre Prospero du 28 mars au 22 avril 2023

Crédit photo Maxime Paré Fortin

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