Quinze façons de te retrouver : par le prisme des émotions

Quinze façons de te retrouver : par le prisme des émotions

Pour clore avec prestance son mandat au Théâtre du Trident à titre de directrice artistique, Anne‑Marie Oliver a choisi de programmer, comme dernière production de la saison 2022-2023, son quatrième spectacle solo, Quinze façons de te retrouver, en collaboration avec la compagnie Bienvenue aux dames. Après Gros et détail, Annette et Maurice qui l’avaient menée à investiguer le cœur de personnes aux prises avec des déficiences physiques, psychologiques et sociales, l’autrice et comédienne sonde dans cette œuvre ses propres agitations, blessures et angoisses. Elle aborde le sujet de la perte crûment, sans ambages, avec courage, générosité et une fabuleuse dose d’humour qui en font une conteuse incomparable.

Elle se présente sur la grande scène du Trident sans artifices, la jambe bandée, s’excusant presque de s’être froissé un muscle. Elle semble si heureuse de retrouver son public, sa parole est si résolue et son humanité si sereine qu’on tombe instantanément sous le charme. Avec ses cheveux courts, ses bottillons noirs, sa jupe qui lui arrive aux mollets et son chandail qui arbore un immense cœur sur la poitrine, elle ressemble à une femme comme les autres. Son costume (Julie Lévesque), qui arbore différentes teintes de rouge, est une métaphore de sa passion, de sa détermination et de son amour.

Après être demeurée quinze ans sans nouvelles, Anne-Marie Olivier concocte des plans pour retrouver la personne qui a partagé les jeux de son enfance, celle qui vivait à ses côtés dans la maison familiale, celle qui fut un modèle, de quatre ans son aînée, celle qui a coupé volontairement et irrémédiablement les ponts du jour au lendemain sans donner aucune explication. Elle en parle avec tant de bonheur, de tendresse et de nostalgie qu’on comprend que son désir de renouer contact est non seulement vital, mais viscéral.

Anne-Marie Olivier est accompagnée sur scène par le guitariste Benoit Shampouing qui, avec son instrument, rythme l’expression des sentiments de la conteuse et teinte son récit d’airs, notamment aux accents westerns lorsqu’elle imagine un duel ludique à la sauce spaghetti afin de raviver les émotions du passé. Leur complicité dans ce spectacle est telle que le son de la musique et la voix de la comédienne sont indissociables. La contribution du musicien exalte la prestation de la comédienne et crée des effets qui stimulent les sens et mettent en valeur la portée des propos.

C’est sur un plateau dépouillé qu’Anne-Marie Olivier évolue avec une présence remarquable et authentique. La mise en scène de Maryse Lapierre est d’une clairvoyante simplicité. Elle braque les projecteurs sur la richesse du texte et la spontanéité de son interprète. C’est par bribes que la conteuse dévoile ses souvenirs et les fait vibrer jusqu’au cœur du public. Aux fragments d’enfance et d’adolescence se mêlent les histoires de départ pour l’université, d’amitiés et de ruptures. Les chroniques fourmillent d’anecdotes savoureuses et de projets farfelus pour retrouver l’être cher.

La scénographie de Claudie Gagnon ainsi que les éclairages et la conception vidéo de Keven Dubois sont en parfaite osmose avec le récit. Un cyclorama à la base duquel est amoncelée une bande de terre sinueuse crée une impression d’immensité et d’éloignement. La comédienne semble toute petite dans ce décor où est projeté un ciel bleu et nuageux, parfois clair, parfois orageux. Du lever du soleil à la nuit étoilée, les images qui se succèdent sur la toile de fond font échos aux sentiments exprimés par la protagoniste. L’objet comme tel, qui reproduit le firmament sous toutes ses formes, personnifie quant à lui l’être absent et tant aimé. La vastitude de l’espace illustre à la fois la profondeur de la carence causée par cette séparation et l’essence de la personne qui s’est littéralement envolée vers d’autres cieux.

Avec Quinze façons de te retrouver, Anne-Marie Olivier livre une performance formidable. Entre les moments de fougue, de moquerie et d’introspection, elle aborde des sujets sensibles comme la famille, le racisme, la responsabilité, l’éducation, le pardon. Sa démarche, entre le deuil et la catharsis, est digne d’un rituel même si, comme elle le décrit si bien, elle a les « émotions comme des bouquets de ballounes ».

Quinze façons de te retrouver, à l’affiche du Trident du 25 avril au 20 mai 2023

Crédit photos Stéphane Bourgeois

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