Tableau final de l’amour : saisir la poésie de la souffrance humaine

Tableau final de l’amour : saisir la poésie de la souffrance humaine

Présentée à l’Usine C pour quelques soirs avant de faire partie de la programmation officielle de la 17e édition du Festival TransAmériques, l’adaptation du roman Tableau final de l’amour pour la scène s’inscrit comme une création multidisciplinaire alliant théâtre et arts visuels à un texte tout aussi poétique que tragique. L’auteur Larry Tremblay, qui signe aussi la pièce du même titre, mise en scène par Angela Konrad, a tenté d’imaginer ce que les faits véridiques, relatés sur la vie du célèbre peintre Francis Bacon, révèlent vraiment. Cette nouvelle production de LA FABRIK invite les spectateurs à constater la beauté de l’horreur qui peut se cacher derrière l’art. 

Comme une belle façon de démontrer que ce qui est à la surface cache quelque chose de plus signifiant, le spectacle commence avec la projection numérique de l’atelier de Francis Bacon, image créée en 3D par Alexandre Desjardins et son assistant Matteo Viera. Le tableau est affiché sur un paravent blanc amovible qui monte et qui descend pour permettre le dévoilement d’un espace scénique tout blanc conçu par Hugo Dalphond-Lapporte aussi responsable d’une belle variété d’éclairages. Le paravent ne tardera pas à s’élever pour révéler les dessous du désordre qu’il présente. Tout au long de la représentation, divers tableaux vivants d’une beauté effroyablement intrigante s’enchaînent alors que McGinnis et Côté peignent de leurs corps peu ou pas vêtus la toile immaculée qui leur sert de scène. Appuyés en intensité par le travail de Simon Gauthier à la conception sonore, les deux interprètes se livrent corps et âme pour raconter l’histoire cinglante, mais passionnée, de deux amants solitaires fascinés l’un par l’autre qui se sont aimés violemment. Du début à la fin, la poésie de Tremblay résonne de manière tranchante dans une mise en scène qui laisse beaucoup de place à l’imagination du public. Les mots marquent radicalement l’imaginaire de l’auditoire, mais sans jamais lui suggérer un sens définitif et entier de ce dont il est témoin. Grâce au dynamisme de son travail, Konrad réussit à définir assez subtilement les paramètres d’un spectacle pour que les comédiens apportent leur propre couleur à un texte qui ne peut laisser dans l’indifférence.     

Adressés à son amant suicidé (et son modèle de son vivant), les mots du Francis Bacon fictif joué par un Benoît McGinnis sont dits avec une maîtrise qui effraie. Derrière ses premières paroles qu’il lance d’un air impassible se dissimulent déjà un homme tourmenté par un lourd passé. Arrivant à maintenir un regard perçant où la souffrance et l’envie de tuer coexistent constamment, McGinnis donne à voir une performance des plus nuancées. En fidèle partenaire de jeu, Samuel Côté offre une interprétation d’une présence à faire oublier que son personnage d’amant n’est plus, mais il parvient magnifiquement bien à ne jamais quitter complètement son état d’errance en jouant toujours avec une lenteur calculée. Se soutenant mutuellement, les deux comédiens ne laissent jamais tomber la tension qu’ils alimentent de courts silences chargés d’émotion, de regards affamés, de désirs violents et de pensées tordues dites sans broncher. Lorsque s’éteint la grande scène pour faire descendre le panneau de projections à nouveau afin de permettre la préparation d’un autre tableau, la crainte de ce qui se prépare à l’arrière s’entremêle avec la hâte de découvrir quelle violence mettra en scène la prochaine fresque humaine. Le contenu visuel créé par Desjardins pour permettre ces intermèdes va de pair avec la narration et, devant sa simplicité, le public se voit intelligemment contraint de lui donner un sens ou une gravité qui en amplifie la portée dramatique. C’est particulièrement vrai à la fin du spectacle. La projection du triptyque Transgressions peint par Bacon, clairement lié à la trame narrative, clôt la représentation avec une force et une poésie à l’image de la création dont elle est la conclusion.

Grâce à la poésie de Larry Tremblay tout aussi bonne à lire qu’à entendre résonner au théâtre, le spectacle Tableau final de l’amour se présente comme une série de tableaux vivants magnifiques et significatifs. Mise en scène de façon à encourager l’interprétation libre du public, cette création théâtrale de LA FABRIK emprunte aux arts visuels pour permettre à la violence du texte de révéler sa beauté cachée. Dans les rôles du peintre Francis Bacon et de son amant décédé, les deux interprètes s’abandonnent complètement pour dépeindre l’amour tumultueux qui unit ces deux âmes tourmentées. Brillamment soutenus par l’équipe de conception, McGinnis et Côté permettent à la souffrance humaine de trouver corps et voix pour se montrer dans toute sa splendeur.

Tableau final de l’amour, à l’affiche à l’Usine C, du 18 au 21 mai 2023, puis au FTA les 1er, 2 et 3 juin 2023

Crédit photos Patrice Tremblay

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