Carrefour 2023 – Phèdre ! : une pure passion

Carrefour 2023 – Phèdre ! : une pure passion

Le Carrefour international de théâtre de Québec démarre en beauté avec Phèdre !, une production suisse de 2b company et le second spectacle du festival à tenir l’affiche cette année. Dans un décor spartiate — à prendre dans le sens de sobre, de frugal —, Romain Daroles interprète un conférencier totalement inspiré par son sujet qui vient discourir d’une œuvre phare du théâtre classique, Phèdre, sans point d’exclamation, de Jean Racine.

Dans un jeu savoureux de mise en abyme, l’acteur, qui accueille les spectateurs à l’entrée de la salle, se présente comme le protagoniste de Phèdre ! et endosse tous les personnages de la pièce de Racine dans une sorte de délire structuré qui transforme la tragédie originelle peuplée de morts, de fièvre et de rage en une comédie délicieusement déjantée.

Seul sur scène avec une simple table blanche posée sur un tapis blanc, le comédien vêtu d’un jean et d’un maillot blanc tient dans ses mains le texte de la pièce, un opuscule à couverture blanche sur lequel le titre est inscrit en grandes lettres rouges. Avec ce petit volume comme unique accessoire, Daroles livre une performance du calibre de celles d’Yves Hunstad dans La Tragédie Comique ou de Philippe Avron dans Je suis un saumon, deux productions qui ont bourlingué, remporté des prix prestigieux et qui ont notamment été présentées à Québec au tournant du siècle dernier.

L’auteur de Phèdre !, François Gremaud, assure également la mise en scène du spectacle. Tout est orchestré pour faire ressortir les vers de Racine, le jeu de Daroles et le contexte entourant le récit. Truffé de calembours, de commentaires imagés et de références historiques et contemporaines, Gremaud nous convie à un voyage spatio-temporel par lequel il esquisse avec humour et rigueur un panorama généalogique et mythologique des familles en cause dans la tragédie de Racine.

Les alexandrins — ces vers de douze syllabes qui présidaient à l’écriture dans le théâtre classique — sont également décortiqués par Gremaud qui prend un malin plaisir à en souligner les rimes et à en imiter la forme. Les codes de la tragédie à l’ère de Racine, avec notamment ses trois unités de lieu, de temps et d’action, n’échappent pas au regard minutieux que l’auteur pose sur Phèdre. Il utilise d’ailleurs lui-même des codes verbaux et gestuels pour caractériser les protagonistes de l’œuvre mère. L’accessoire qu’est le livre de la pièce prend ainsi une tout autre signification selon qu’il sert à personnifier Hippolyte, Thésée ou Phèdre elle-même, dont l’incarnation est exquise.

Daroles embrasse le texte de Grimaud comme s’il improvisait. Son enthousiasme à la fois naïf et fascinant est tout à fait communicatif. Il entretient une véritable conversation avec le public qu’il informe, qu’il met en garde et qu’il interroge parfois. D’ailleurs, les spectateurs ne sont jamais totalement dans le noir. La lumière, dont la conception (Stéphane Gattoni) est axée elle aussi sur la couleur blanche, éclaire en partie le public à partir du fond de la scène.

Phèdre ! avec un point d’exclamation, que l’on appelait jadis un point d’admiration, nous donne à la fois une leçon d’histoire et de théâtre. On ne peut que sortir admiratif et admirative de cette performance qui stimule l’imagination, crée un monde fabuleux et, eh oui !, engendre la catharsis. La passion des personnages de l’œuvre de Racine n’a d’égal que celle du conférencier qui vient nous en entretenir avec ardeur et générosité. Plaisir assuré.

Le spectacle est présenté du 26 au 29 mai, au Théâtre Périscope

Crédit photo Loan Nguyen

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