FTA 2023 – Nehanda : poings levés, coeurs ouverts

FTA 2023 – Nehanda : poings levés, coeurs ouverts

La chorégraphe d’origine zimbabwéenne basée à New York, nora chipaumire, débarque au FTA avec une vibrante épopée musicale en trois actes présentée pour une rare fois dans son entier. Production revendicatrice et festive tout à la fois, Nehanda est un feu roulant de rythmes et de chants que la barrière des langues rend parfois difficile à suivre, mais qui tire sa force de l’appel à la justice qu’elle porte avec ferveur.

Découpée en huit tableaux, la performance d’environ cinq heures se construit autour du procès ayant opposé la reine Victoria à la rebelle Charwe Nyakasikana à la fin du 19e siècle en Rhodésie (colonie britannique correspondant à peu près au Zimbabwe actuel). Nyakasikana, qui se présentait comme une médium, aurait été inspirée par la figure spirituelle ancestrale Nehanda pour mener au soulèvement du peuple shona avant d’être arrêtée, jugée et pendue.

Crédit Natalie-Romero

Écrasée sous d’immenses drapeaux britanniques, la salle d’Espace Go devient pour l’occasion une aire de jeu ouverte ; les sièges du public ont été repoussés contre les murs pour encore mieux dégager l’espace. Quelques caisses de lait dispersées ici et là offrent des places de choix aux spectateurs et spectatrices plus téméraires. Il n’y a pas vraiment de début au spectacle, juste un moment où le silence du public cède toute la place à la musique et au chant. Les corps des danseurs sont, eux, déjà en mouvement. Lentement, l’un après l’autre, ils quittent leur immobilisme au milieu du public, s’avancent en portant leurs sièges de fortune, déterminés à faire entendre leurs doléances, dans un mouvement qui semble inarrêtable.

Nehanda mêle l’opéra aux vuvuzelas, le battement des tambours aux voix des mégaphones qu’on brandit, les revendications y deviennent le chant d’une nation, celle d’hier sous le joug britannique comme celle d’aujourd’hui, qui ressent encore les effets de cette colonisation brutale. Présentée comme un spectacle immersif, la production porte une musicalité narrative captivante très différente de ce qu’on voit en saison régulière dans nos salles, tout en ne s’embarrassant pas de la frontière des langues ou des cultures. Elle ouvre l’espace et invite au rassemblement.

Dans cet espace collectif qui n’érige aucun mur entre artistes et public, terre conquise et territoire à reconquérir, le spectacle transdisciplinaire Nehanda se ressent davantage qu’il ne se conçoit puisqu’il est présenté sans surtitres en différentes langues africaines (shona, ndebele, ewe, afrikaans, kriolu) et un peu d’anglais, soient les langues maternelles de ses interprètes. Le livret de l’opéra aide peu à suivre le fil du récit ; on aurait aimé comprendre les paroles dites ou chantées, mais il faut à un moment lâcher prise pour se laisser porter par le spectacle. Heureusement, le coeur et l’intensité avec lesquels les artistes en scène livrent ces mots-là, jusque dans les mouvements de leurs corps, font ressentir une myriade d’émotions. Transporté par les rythmes des tambours et des chants, le public se joint même aux célébrations, contribuant à créer un moment de partage.

Crédit Brad Schaffer

Avec sa vingtaine d’artistes en scène, ses multiples instruments et sa charge électrique, Nehanda est une expérience en soi. À mi-chemin entre le rallye politique, la communion spirituelle et la performance musicale, la plus récente création de nora chipaumire fait résonner haut et fort les voix de ceux et celles qui ont longtemps été contraints de se taire. Sans crainte de déranger, elles revendiquent le droit de raconter leur histoire et réclament justice.

À l’affiche du FTA du 26 au 28 mai 2023 à Espace Go

Crédit photo entête Sachyn Mital

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