Soudain les îles : genèse des mystères de la beauté

Soudain les îles : genèse des mystères de la beauté

Le Théâtre jeunesse Les Gros Becs clôt sa saison 2022-2023 avec Soudain les îles, la plus récente création de la compagnie de Québec Les Incomplètes. Dédiée aux 2 à 6 ans, cet « objet théâtral » sans paroles d’une trentaine de minutes entraîne petits et grands dans un univers de découvertes et d’étrangeté, où la vie se déploie de multiples et mystérieuses façons.

Dans un décor tout gris, sans couleur, un rocher-coussin est frappé par la marée. Fleurissent sur ses flancs des organismes végétaux qui pointent leurs pétales et leurs tiges vers le monde. Un morceau se détache : l’île se promène, se fait pousser des pattes, et permet à la vie cellulaire de se multiplier. Naissent alors une foule de créatures, parfois effrayantes, comme ce crabe-pieuvre rouge, cthulhuesque, aux plus sympathiques, comme cette forme tentaculaire qui chante doucement quelques notes ou cette méduse de laine qui s’éclaire doucement, posée sur le rocher-mère.

C’est pieds nus (ou en pieds de bas) que l’on pénètre dans la salle, comme s’il fallait ne pas déranger, ou, comme dans la culture japonaise, respecter le côté sacré du théâtre. Pour bien profiter du spectacle et laisser les tout-petits savourer pleinement l’expérience, la jauge est réduite à moins de 80 personnes. Les jeunes spectateurs peuvent en toute impunité s’exprimer, poser des questions, extérioriser ce qu’ils voient et ressentent, de la crainte à la fascination. On retourne alors à l’essence même du théâtre : se faire raconter une histoire.

S’inscrivant dans le « cycle du littoral », Soudain les îles succède peut-être à Sur la grève, créé en 2019, mais s’avère foncièrement différent. Et c’est grâce à la conceptrice et artiste Laurence Petitpas, dont on reconnait ici l’univers et ses inspirations. De chaque créature qui apparait sur scène naît une nouvelle entité, imbriquée ou cachée au creux de la première ; une notion qui rappelle le cahier de travail japonais en accordéon qu’utilisait la jeune créatrice pour ses dessins, créant des lignes nouvelles à partir des anciennes. Il y a aussi cette impression de légende autochtone, ou même l’essence du Studio Ghibli parfois, qui flottent à travers le spectacle.

Les metteures en scène Laurence P Lafaille et Audrey Marchand – qui a d’ailleurs dû revêtir, lors de notre visite, le costume de Laurence Petitpas qui récupère d’une blessure – explorent ici, de mémoire, une nouvelle matière : le tissu. Tous les accessoires manipulés et les marionnettes atypiques sont composés de matériaux textiles, permettant la formation (et la déformation) des créatures marines comme terrestres. L’ambiance sonore concoctée par Jean-Michel Letendre Veilleux, qui utilise les possibilités du synthétiseur, est tout aussi évocatrice que ludique. La conception des éclairages de Keven Dubois semble simple, mais vient appuyer superbement, et avec subtilité le travail de la comédienne.

Soudain les îles propose une intéressante exploration de la vie marine et des côtes, un univers que l’on connaît que trop peu. Peuvent alors jaillir de notre imaginaire flore et bestioles plus énigmatiques les unes que les autres, au plus grand plaisir des petits, aux grands yeux écarquillés.  

Soudain les îles, présenté au Théâtre jeunesse Les Gros Becs jusqu’au 4 juin, puis à la Maison Théâtre du 7 au 18 juin 2023

Crédit photo promotionnelle Stéphane Bourgeois

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