FTA 2023 – William Shakespeare’s As You Like It : Comme il lui plaira

FTA 2023 – William Shakespeare’s As You Like It : Comme il lui plaira

C’est dans l’idée du territoire spolié, à la base de Comme il vous plaira, que Cliff Cardinal dit avoir trouvé l’inspiration pour sa relecture de la comédie shakespearienne. Créée à Toronto en 2021 puis présentée au Carrefour international de théâtre à Québec l’an dernier, la production débarque cette fois à Montréal à la Maison Théâtre pour le Festival TransAmériques. Guidé par ce thème du territoire non cédé et par des protagonistes qui prétendent être ce qu’ils ne sont pas, l’auteur, metteur en scène et interprète (même s’il se défend d’avoir un grand rôle dans la production) avait entre les mains les cartes gagnantes pour monter un spectacle grinçant et franchement inattendu. Et en ce qui a trait à la distribution complète, on ne peut en dire davantage, pour ne pas gâcher la surprise.

Dans William Shakespeare’s As You Like It, A Radical Retelling by Cliff Cardinal, l’artiste Oglala Lakota, originaire de la communauté Pine Ridge, l’une des plus pauvres du Dakota, offre une perspective personnelle sur les relations entre les populations autochtones et allochtones au Canada (mais ça pourrait tout aussi bien être aux États-Unis ou en Australie). Radical dans son approche? Peut-être un peu, mais subversif, un brin baveux et provocateur, ça oui, totalement. En assistant à ce spectacle, vous acceptez le roast implacable qui vous sera servi avec le sourire. Car Cliff Cardinal ne fait pas dans la dentelle et se joue des attentes du public avec une effronterie qui lui sied particulièrement bien. Les attentes du public? Il les renverse à répétition. La main qu’il tend? Il la retire aussitôt. Son humour lui permet bien des piques à l’encontre de l’histoire du Canada et du privilège blanc. Diplômé en écriture dramatique de la section anglophone de l’École nationale de théâtre, il connaît bien le public montréalais. La production a visiblement été adaptée au public d’ici, multipliant les références au Québec (les riches de Westmount, la crise d’Oka…) pour mieux dénoncer l’hypocrisie et la « bienpensance ». Si ce n’étaient des surtitres qui trahissent le niveau de préparation, les nombreuses digressions de cette relecture audacieuse pourraient d’ailleurs facilement passer pour de l’improvisation, tant Cardinal nous les livre avec naturel et beaucoup de charme, au milieu des tacles que la production de Crow’s Theatre envoie au public présent.

Par sa relecture du plus classique des auteurs britanniques, Cardinal se réapproprie le narratif de l’Histoire, une Histoire dont on a tenté d’effacer les Premiers Peuples. En soi, la trame narrative de la comédie shakespearienne sert de prétexte à dénoncer les abus aussi bien que les excuses actuelles sans colonne politique et sans gestes véritablement réparateurs. Cette relecture puise ainsi dans des années et des générations de colère refoulée. Sous le couvert de l’humour, le sarcasme pointe très vite, et ce, dès les premières minutes de l’introduction, dans laquelle l’auteur prend le temps d’expliquer avec franchise et une touche de moquerie la réflexion qui l’a mené sur scène devant nous. Et comme l’histoire écrite par Shakespeare au 16e siècle, ce Radical retelling se construit sur la tromperie et les mensonges réconfortants qu’on se raconte à soi et aux autres.

Il fallait oser, oui, se servir de l’oeuvre de Shakespeare, même s’il s’agit d’une comédie aussi légère que Comme il vous plaira pour dénoncer les abus et, disons le mot qui finira par être lâché en fin de spectacle, le génocide des Autochtones du Canada par le colonisateur blanc et ses descendants. Si Cardinal écharpe sans merci l’Église catholique, il n’épargne personne pour autant. Peut-on blâmer les gens pour des crimes commis par leurs aïeuls?, demande l’artiste à travers cette relecture, tout en y répondant sans hésitation par l’affirmative. Les Autochtones souffrent encore de ce qu’on leur a fait subir, les corps d’enfants reposent encore dans des lieux de sépulture anonymes, et les filles, les soeurs, les mères autochtones continuent de disparaître dans une sollicitude plus polie que politique. Il serait plus que temps qu’on passe des paroles gentilles aux actes.

Crédit photo Dahlia Katz

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