Trame familiale en chantier
Trame familiale en chantier
Rien à voir avec la pandémie : « Scénarios pour sortie de crise » n’offre pas de solutions à la situation actuelle. La crise, c’est celle (ou celles) que traverse une famille dont les chemins de vie se sont séparés au carrefour. Cette autofiction inspirée de l’expérience personnelle d’Erika Soucy explore les tensions qui surviennent au sein d’un clan d’origine modeste, lorsqu’un des membres a désormais un salaire honorable et un statut social enviable. Entre les bouteilles de Black Label et le vin blanc, chacun cherche sa place et la reconnaissance des autres.
Cette famille en recomposition perpétuelle évolue dans le chaos d’un chantier de rénovations. Au second degré, on pourrait y voir la représentation de leur relation, mais l’incompréhension quant à ce choix scénographique persiste tout au long de la pièce. C’est à se demander s’ils ne se sont pas trompés de décor. Difficile d’imaginer qu’E. a gravi les échelons alors que sa belle maison est un amas de gypse brisé et que son divan neuf est taché. De même, on comprend mal l’utilité de la semi-fosse aménagée à l’avant-scène, qui n’a pour toute fonction que de simuler maladroitement un sous-sol.
La direction des actrices et acteur laisse également perplexe. Linda Laplante, actrice expérimentée, est crédible dans son rôle de mère à demi vulgaire qui ne s’en laisse pas imposer. Dayne Simard incarne un jeune homme fier mais anxieux, dont on s’explique mal le changement de cap, si ce n’est pour servir un happy-end. Étonnamment, Erika Soucy joue son propre rôle avec plus ou moins de conviction. Enfin, il y a cette pauvre Noémie F. Savoie, contrainte à incarner superficiellement de multiples personnages sans le support d’accessoire ou de costume, ce qui oblige chaque fois à deviner à qui l’on a affaire. Ce quatuor essaie comme il le peut de se frayer un chemin parmi les débris, par des déplacements qui desservent parfois la scène.
Bref, la mise en scène (Olivier Lépine) souffre d’importantes lacunes et aurait gagné à être mieux développée. La première représentation donne l’impression d’une pièce inachevée, en chantier – comme l’est le décor. Manque de temps, de ressources, ou tout simplement coup raté? On se croirait devant un mauvais théâtre d’été, version drame familial.
Le texte d’Erika Soucy offre quelques bonnes répliques bien placées, certaines rigolotes, mais pas au point de repousser l’ennui qui s’insinue rapidement. L’humour et la tendresse familiale ne suffisent pas à maintenir l’intérêt : le scénario présente des longueurs, l’intrigue est répétitive et lassante. Malheureusement, s’inspirer de sa propre vie pour écrire présente des limites lorsque le recul nécessaire pour juger de l’œuvre n’est pas au rendez-vous. On dirait même que la dramaturge s’en excuse lorsqu’elle énumère, en toute fin de pièce, les raisons pouvant miner la réussite d’un projet professionnel.
Restent heureusement la trame et les effets sonores (Josué Beaucage) qui présentent de belles qualités. Souvent graves, parfois étouffants ou rythmés, ils épousent le scénario et arrivent même à l’élever.
Signe que le contenu de cette critique était probablement partagé, les applaudissements étaient polis, sans plus, lors de notre présence ce soir-là. Scénarios pour sorties de crise est l’une de ces expériences théâtrales où l’on soupire simplement « meilleure chance la prochaine fois ».
À la Bordée jusqu’au 20 novembre 2021