L’éveil du printemps : un hommage réjouissant aux désirs libres
L’éveil du printemps : un hommage réjouissant aux désirs libres
Inspiré de l’œuvre de Frank Wedekind du même nom, L’éveil du printemps est une ravissante réécriture imaginée par David Paquet (Porc-épic, 2h14), mis en scène par Olivier Arteau (Doggy dans Gravel, Made in Beautiful (La belle province)). Pièce censurée pour sa dénonciation de « l’hypocrisie puritaine » du 19e siècle, elle conserve une pertinence déconcertante encore aujourd’hui en raison des thèmes qui y sont abordés. La coproduction du Trident et du Théâtre Denise-Pelletier reprend les sujets évoqués dans le texte original, soit les violences sexuelles, l’homosexualité, le BDSM, la masturbation et le suicide – principalement leur caractère tabou -, en les bonifiant de perspectives et d’enjeux plus actuels, tels que les questions environnementales et d’identités de genre. Le spectacle dépeint l’éveil du désir et l’acceptation de soi, dans un monde de destruction et de domination patriarcale capitaliste, faisant ainsi l’éloge du pouvoir des corps et de leur rencontre en dépit de la peur.
Les rideaux s’ouvrent sur un décor à la fois fantastique et futuriste ; une immense plateforme de métal, érigée au centre de la scène, forme une pente ascendante vers l’arrière du plateau. Une grande forêt se dégage de derrière la structure et de chaque côté de celle-ci ; constituée de cordes de chanvre, elle est éclairée de sorte à lui donner une apparence onirique. À la manière des contes, la forêt enchanteresse se révèle être, pour les protagonistes de la pièce, le lieu de découvertes, de prises de risques et de confrontation avec leurs peurs. Un lieu de liberté, hors des carcans rigides de la société. L’éveil du printemps se distingue, assurément, par sa scénographie sublime et astucieuse (Amélie Trépanier). La pente métallique est savamment exploitée tout au long du spectacle ; en plus de diviser l’espace scénique en plusieurs couches de profondeur, la structure vient illustrer l’ascension des protagonistes vers leurs désirs, et « devient le tremplin vers les fantasmes », selon le programme de soirée. Cette métaphore, qui constitue un point central dans l’univers chimérique de la pièce, est, entre autres, employée dans les chorégraphies dansées qui servent de transitions aux scènes. Ces dernières s’avèrent, par ailleurs, particulièrement impressionnantes et savoureuses, des acrobaties sur la plateforme de métal aux tours de corde à sauter. Inusitées, les chorégraphies conçues par Fabien Piché et Olivier Arteau consolident la nature sensuelle et provocatrice du spectacle.
Le cœur du récit porte sur un groupe d’adolescent.e.s de 14 ans, hardi et irrévérencieux. Leur complicité, leur dynamisme et leur attitude revendicatrice en font des protagonistes forts attachants. La pièce dénonce, en outre, la culture du viol par le biais du personnage de Wendla (Sarah Villeneuve-Desjardins), dont la flamme et la combativité par rapport à cet enjeu suscitent compassion et admiration. Le spectacle débute avec son anniversaire. Sa mère (Marie-Josée Bastien) lui offre alors des robes laides qu’elle sera désormais tenue de porter pour « se protéger » et « se prémunir » du regard objectifiant des hommes. L’éveil du printemps critique par l’absurde les discours culpabilisants des victimes d’agressions sexuelles, et cela fait un réel bien d’en rire, comme de la masculinité toxique dont Otto (Gabriel Lemire) se révèle être le porte-étendard. Vexé que ses sentiments amoureux pour Wendla ne soient pas réciproqués, il lui fait du chantage émotif et l’attaque verbalement. Plus tard, il se lance tout aussi agressivement dans l’entrepreneuriat et adopte un esprit capitaliste destructeur, sans égard pour les conséquences de ses actions sur ses proches. Quant à la lumineuse et affable Melchior (Claude Breton-Potvin), elle se révolte contre le tabou du plaisir sexuel ; elle souhaite partager l’histoire de son orgasme à toute sa classe, mais elle se voit censurée par son enseignante (Ariel Charest). Son amie Martha (Carla Mezquita Honhon) et elle développent une attirance mutuelle. Elles s’embrassent fougueusement et explorent les envies BDSM de Melchior dans une scène magnifique où, du haut de la pente, Martha l’enserre avec des cordes de bondage. La forêt s’ouvre littéralement à elles lorsque Melchior atteint l’orgasme.
Même si la fin du récit se déploie un peu trop rapidement, enchaînant hâtivement les thèmes de mort, de viol et de destruction, l’ensemble de l’œuvre reste magistral. Les tableaux créés par la scénographie, la musique et les chorégraphies sont renversants, tandis que le texte, qui porte un humour cinglant et une douce poésie, aborde de manière irrévérencieuse des enjeux sociopolitiques cruciaux. Spectacle d’une ampleur exceptionnelle, L’éveil du printemps se démarque comme une célébration réjouissante de la sensualité des corps, ainsi qu’une critique des discours et des contraintes sociales qui nuisent à l’épanouissement sexuel de tous et toutes. La pièce rend hommage aux désirs libres en accordant une place importante aux représentations romanesques et fabuleuses des plaisirs charnels.
L’éveil du printemps, présenté au Théâtre du Trident du 24 janvier au 18 février 2023
Crédit photos capture d’écran teaser de la pièce, Le Trident