Carrefour 2023 – H+ : une promesse qui s’essouffle

Pendant près de deux heures, un homme, Émile Beauchemin, court sur un tapis roulant, côté jardin. Il complète un marathon de 42 kilomètres qui a commencé avant l’entrée en salle du public. Huit écrans cintrés de néons blancs retransmettent ses données biométriques et ses avancées en temps réel. Cette course qui finit par faire pomper le cœur des spectateurs se révèle la métaphore d’un besoin très concret de dépasser ses limites, d’une soif inextinguible de se sentir productif. Elle traduit une peur de ne jamais en faire assez, de manquer de temps. Elle se nourrit à l’auge de l’excès et du perfectionnisme.

Malgré un grave problème cardiaque causé par un surmenage professionnel et qui a failli lui coûter la vie en 2016, Émile Beauchemin ne décélère pas. De surcroît, il accélère. Le spectacle ne peut d’ailleurs continuer que s’il poursuit sa course, plusieurs effets scénographiques étant contrôlés par le biais de sa performance sportive. Émile s’intéresse au transhumanisme qui vise à améliorer la condition humaine, à augmenter les capacités physiques et intellectuelles des êtres humains, à ralentir le vieillissement et, en fin de compte, à supprimer la mort.

Ce qui se présente de prime abord comme une pièce de théâtre documentaire axée sur le transhumanisme et soutenue par des éléments technologiques et numériques – écrans, haut-parleurs retransmettant des conversations préenregistrées, tête d’automate qui s’adresse au public pour lui communiquer des informations factuelles et historiques – évolue rapidement vers un récit autobiographique peuplé de rêves et de cauchemars.

En compagnie de son amie de longue date, Maureen Roberge, qui interprète plusieurs personnages dont une cardiologue légèrement hallucinante, à mi-chemin entre l’onirisme et la réalité, Émile raconte une partie de sa vie, parle de sa maladie, de ses parents, de son travail au sein de la communauté québécoise des arts de la scène, et d’une de ses passions : la lumière. Ce moment donne d’ailleurs naissance à de magnifiques tableaux visuels où un Émile du futur (Michel Langlois), aîné assis seul à sa table de cuisine, côté cour, est immobile. Les différents éclairages élaborés par Keven Dubois et qui nimbent ce personnage engendrent diverses émotions selon la couleur, l’angle et l’intensité des projecteurs.

La conception scénographique de H+, une production du Théâtre Astronaute, est une réussite à plusieurs points de vue. Œuvre en chantier depuis 2020, la mouture présentée au Carrefour international de théâtre de Québec manque cependant un peu de substance, notamment sur le plan textuel, pour « se coltailler » une place au sein de productions de calibre mondial. Malgré plusieurs images fortes, le récit saute du coq à l’âne et certains sujets abordés laissent plus ou moins indifférents. Il en est de même de certains choix de mise en scène, comme la présence plus ou moins stagnante de l’Émile du futur qui, certes, fait contraste avec le jeune Émile, mais dont le rôle ne devient vraiment signifiant qu’à la toute fin de la pièce.

Quoi qu’il en soit, H+ est un spectacle qui suscite un questionnement. Il possède plusieurs atomes crochus avec le phénomène FOMO (Fear Of Missing Out) qui se traduit par la peur de manquer quelque chose. Ici, ce ne sont pas les réseaux sociaux qui sont en cause, mais une crainte de l’échec, de ne pas avoir suffisamment de temps et d’énergie pour tout expérimenter, tout accomplir ; crainte qui fait somme toute que l’on passe à côté de l’essentiel. C’est du moins ce que le public peut déchiffrer du constat final de la pièce. Obsédé par sa propre performance, Émile a perdu de vue sa meilleure amie, Maureen. Et il ne la retrouvera qu’à l’aube de sa mort.

Le spectacle est présenté les 6 et 7 juin, au Théâtre Périscope.

Crédit photo Carla Chable de la Héronnière