Par Daphné Bathalon

Au cinquième jour
Jeudi 17 juillet 2014

Parce qu’être à Avignon n’empêche pas de voir du bon théâtre québécois, j’avais prévu à l’horaire aujourd’hui d’assister à une représentation de Cinq visages pour Camille Brunelle, du Théâtre PàP. C’est que le théâtre La Manufacture (celui d’Avignon, pas la compagnie qu’on connaît) propose cette année une programmation toute québécoise à l’occasion du OFF : Focus Québec. En plus du Théâtre PàP, la compagnie Orange noyée (avec Un) et Les Productions Rhizome (avec leurs Unplugged) sont aussi présentes à Avignon.

Succès critique et populaire de 2013 (lisez ici la critique complète de ma collègue Véronique Voyer), Cinq visages pour Camille Brunelle avait repris l’affiche cet hiver à Espace GO. C’est cette fois dans une version légèrement écourtée que le texte de Guillaume Corbeil revient sur scène.

Nous sommes ce que nous consommons, tel semble être le credo des cinq jeunes hommes et femmes debout devant nous. Occupation, sexe, ville, yeux, cheveux, taille, club préféré… Tout commence par une énumération des plus classiques comme on en retrouve à foison sur les sites de rencontres et dans les profils Facebook, puis l’énumération devient escalade, compétition. Ils se tiennent face à nous, mais se relancent les uns les autres à grands coups d’étalage de culture : c’est à celui qui aura vu l’oeuvre la plus obscure ou qui connaîtra le plus grand nombre d’artistes.

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Crédit : Jérémie Battaglia

Tous issus de cette génération qu’on dit ouvertement narcissique, ces jeunes trentenaires cherchent avant tout à créer un écran entre leur banalité et la perception que les autres ont d’eux-mêmes, faisant croire par une multiplication de photos, de rencontres et d’événements que leur vie est palpitante alors qu’elle est remplie des mêmes gestes banals que celle de tout le monde. Ils s’exposent et se surexposent pour enfouir sous la surface ce qu’ils sont réellement.

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Crédit : Jérémie Battaglia

La mise en scène de Claude Poissant laisse toute la place au texte, découpé comme autant de statuts Facebook, et aux corps jeunes et beaux des cinq acteurs. Leurs « moi », répétés jusqu’à la lassitude la plus complète, s’étalent sans ordre et sans gêne, de la même manière que le contenu de la garde-robe répandu au sol. Le spectateur lui-même en vient au point d’écoeurement de voir et de revoir les mêmes photos, d’entendre les mêmes fredaines, les mêmes faits et affirmations répétés sans émotion particulière. Il n’en est que plus secoué quand le vide de ses relations humaines se transforme en plongeon dans le gouffre des drames personnels.

L’accueil critique est plutôt bon ici pour Camille Brunelle, en ce moment, et la salle presque toujours pleine. Peut-on songer éventuellement à une tournée française?…

 

P1030621Pour changer d’air, j’ai quitté la cohue des rues d’Avignon en fin de journée pour celle des rues d’Orange, où se déroule chaque été les Chorégies dans le magnifique théâtre antique de la ville. Jeudi soir, Carmina Burana se faisait entendre pour la première fois entre les murs de ce bâtiment classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Le cantate scénique a été composé par Carl Orff en 1937 alors que, rappelons-le, le gouvernement nazi était au pouvoir. Ce cantate valut d’ailleurs à Orff d’être considéré par les nazis comme leur compositeur officiel, rien de moins (!).

Chaque fois que j’ai la chance de m’asseoir un bref instant dans les gradins d’un théâtre antique (et non, ça ne m’arrive pas souvent), je ne peux m’empêcher d’imaginer les spectateurs qui ont fait de même des siècles et des siècles avant moi, et de me demander qui ils étaient, ce qu’ils venaient voir, pourquoi, en compagnie de qui, pour voir ou pour être vus, pour admirer la puissance des drames divins et des lignées maudites ou pour goûter à la force brute des gladiateurs et des bêtes sauvages?

P1030626Je m’y connais assez peu en musique et en chant choral, je ne me risquerai donc pas à me prétendre critique musical, mais s’il y a bien une chose à dire de ce concert, c’est que musique et projections vidéo se mariaient à merveille, si bien qu’on ne pourrait affirmer lequel, de la musique ou des magnifiques dessins de Philippe Druillet, complétait l’autre. De fait, les illustrations aux couleurs psychédéliques projetées sur le toujours très impressionnant mur de scène du théâtre nous présentaient des rivages inconnus, des temples aux colonnes sculptées de figures simiesques ou grimaçantes, de statues en l’honneur de déesses aux formes généreuses et coiffées de tiares extravagantes. Elles nous transportaient sur des mondes étranges où faune, flore et architecture ne ressemblaient à rien de connu.

P1030625Quant à la musique, elle a malheureusement paru manquer de volume par moments. C’était plus marquant lors des chants des solistes Julia Bauer (soprano), Max-Emmanuel Cencic (contre-ténor) et Armando Noguera (baryton), mais même l’orchestre jouait de retenu quand on aurait voulu dans l’assistance sentir son coeur battre à vive allure en songeant au sort inique que les dieux réservent aux hommes… Dans l’ensemble toutefois la musique a su créer des instants de pure beauté et plusieurs corps et têtes dans les gradins marquaient le rythme surtout lors de l’hymne au printemps. Le public a d’ailleurs réservé de chaleureux applaudissements aux artistes, les rappelant trois fois sur scène. Les artistes nous ont d’ailleurs accordé deux rappels fort bienvenus. Fayçal Karoui, qui remplaçait au pied levé Michel Plasson, souffrant, assurait la direction musicale du concert.

Carmina Burana sera retransmis début août sur France 3, espérons que TV5 MONDE se portera également acquéreur des droits de diffusion de ce très beau concert! On voit trop peu de spectacles de ce genre sur nos ondes, au Québec. En attendant, vous pouvez visionner le concert en ligne juste là:


Carmina Burana aux Chorégies d’Orange

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